(Paris) Le président français Emmanuel Macron a dit mercredi « assumer » l’adoption d’une loi dure sur l’immigration, qui a provoqué une crise ouverte dans sa majorité, démentant qu’il soit d’inspiration d’extrême droite et assurant que les Français « attendaient » ce texte.

La loi, la 30e en quatre décennies en France, est « un bouclier qui nous manquait », a d’emblée déclaré le président Macron, invité sur France 5 au lendemain de l’adoption du texte soutenu par la droite et l’extrême droite, et qui a fracturé sa majorité, provoquant notamment la démission du ministre de la Santé Aurélien Rousseau.

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« Je respecte » sa décision, a dit le chef de l’État, avant d’insister sur la « responsabilité » de gouverner.

« Ces responsabilités nous obligent. Il faut assumer ce qui a été fait hier, il faut aussi calmer les esprits », a-t-il dit.

« Nos compatriotes attendaient cette loi », a affirmé le président, estimant qu’elle visait « très clairement » à décourager la venue de clandestins. Il y a un « problème d’immigration » en France, mais « on n’est pas dépassé par l’immigration », a-t-il dit.

Il a ensuite défendu un texte « utile » qui permet de « mieux intégrer par le travail » et permettra la « régularisation de 7000 à 10 000 personnes ».

M. Macron a cependant reconnu qu’il n’« aimait pas » certaines dispositions de la loi, qui va être soumise au Conseil Constitutionnel, citant notamment la caution qui sera désormais demandée aux étudiants étrangers, et qui a suscité une levée de boucliers de plusieurs grandes écoles.

« Valeurs »

Le président a vigoureusement rejeté l’idée que les dispositions de la loi soient d’inspiration d’extrême droite.

Pendant des mois de feuilleton législatif, le texte a été considérablement durci par la droite et l’extrême droite. La cheffe des députés du Rassemblement national Marine Le Pen, dont le parti a décidé au dernier moment de voter le texte, a d’ailleurs salué une « victoire idéologique » et des mesures consacrant la « priorité nationale », pilier de son idéologie.

Le chef de file de l’extrême droite espagnole Santiago Abascal, a d’ailleurs invité mercredi le premier ministre socialiste Pedro Sánchez à « imiter (son) ami (Emmanuel) Macron » sur l’immigration, saluant « une loi migratoire vraiment restrictive ».

Le texte restreint considérablement le versement de prestations sociales, prévoit des quotas migratoires instaurés, remet en cause l’automaticité du droit du sol, rétablit le « délit de séjour irrégulier »…

« L’ensemble du texte ne trahit pas nos valeurs », a affirmé le président français qui a été réélu en 2022 devant Mme Le Pen sur la promesse de faire barrage à l’extrême droite.

Toutefois, pour éviter que le RN arrive au pouvoir, « il faut traiter les problèmes qui le nourrissent », a-t-il fait valoir.

« Indignité »

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Après 18 mois de revirements et rebondissements autour de ce projet de loi, l’Assemblée nationale, après le Sénat, l’a voté mardi soir avec 349 voix pour et 186 voix contre, sur 573 votants.

Le président français, qui ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée, avait fait de ce projet de loi un test de sa capacité à réformer jusqu’à la fin de son deuxième mandat.

Nombre de commentateurs, à l’instar de Jérôme Fourquet, directeur de l’institut de sondages Ifop, s’accordent à dire que cet épisode va cependant « laisser des traces » dans la majorité présidentielle et au-delà.

Depuis l’adoption du texte, l’opposition de gauche dénonce une « indignité » et crie à « la honte », le texte ayant été soutenu par l’extrême droite.

Une cinquantaine d’associations, syndicats et ONG, ont aussi critiqué « le projet de loi le plus régressif depuis au moins 40 ans » pour les étrangers en France.

En outre, une trentaine de départements dirigés par la gauche ont annoncé mercredi qu’ils n’appliqueraient pas le durcissement des conditions de versement aux étrangers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Sujet récurrent en France, comme ailleurs en Europe, l’immigration enflamme régulièrement la classe politique. Une réforme très controversée sur le sujet a d’ailleurs fait l’objet d’un accord mercredi à Bruxelles.

La France compte 5,1 millions d’étrangers en situation régulière, soit 7,6 % de la population. Elle accueille plus d’un demi-million de réfugiés. Les autorités estiment qu’il y aurait de 600 000 à 700 000 clandestins.

Des régularisations sont souhaitées par le patronat français, face aux centaines de milliers de postes vacants dans l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, l’agriculture…

Les mesures clés d’un accord controversé

Voici les mesures clés du projet de loi immigration voté mardi au Sénat et à l’Assemblée nationale en France, qui a été fustigé par la gauche, salué par l’extrême droite et constitue une source de malaise au sein de la majorité.

Prestations sociales

La question d’une durée de résidence minimale en France pour que les étrangers non européens en situation régulière puissent toucher des prestations sociales a failli faire capoter les tractations.

Alors que la droite réclamait un délai de cinq ans pour ouvrir le droit à une large liste de prestations « non contributives », le compromis scellé mardi est basé sur une distinction entre les étrangers selon qu’ils sont ou non « en situation d’emploi ».

Pour certaines prestations sociales, un délai de cinq ans est ainsi prévu pour ceux qui ne travaillent pas, mais de trente mois pour les autres.

Pour l’accès à l’Aide personnalisée au logement (APL), une aide financière destinée à réduire le montant du loyer, qui constituait le principal point d’achoppement, une condition de résidence est fixée à cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas, et de seulement trois mois pour les autres.

Ces nouvelles restrictions ne s’appliquent pas aux étudiants étrangers.

Sont par ailleurs exclus de toutes ces mesures les réfugiés ou les titulaires d’une carte de résident.

Régularisations de sans-papiers

La majorité s’est résignée à une version plus restrictive que celle du projet de loi initial, en donnant aux préfets un pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers dits en tension.

Il s’agira d’un titre de séjour d’un an, délivré au cas par cas, à condition d’avoir résidé en France pendant au moins trois ans et exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers. Cette « expérimentation » ne s’appliquera que jusqu’à fin 2026.

Le camp présidentiel n’a eu gain de cause que sur un point : la possibilité pour un travailleur sans-papiers de demander ce titre de séjour sans l’aval de son employeur.

Quotas migratoires

L’instauration de « quotas » fixés par le Parlement pour plafonner « pour les trois années à venir » le nombre d’étrangers admis sur le territoire (hors demandeurs d’asile) est considérée comme inconstitutionnelle par le camp présidentiel.

Mais ce dernier a quand même accepté d’intégrer cette mesure, ainsi que la tenue d’un débat annuel sur l’immigration au Parlement.

Déchéance de nationalité, droit du sol

La majorité présidentielle a également fini par donner son accord à la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour homicide volontaire contre toute personne dépositaire de l’autorité publique.

Concernant le droit du sol, elle a concédé la fin de l’automaticité de l’obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers : il faudra désormais que l’étranger en fasse la demande entre ses 16 et 18 ans.

Autre restriction obtenue par la droite : en cas de condamnation pour crimes, toute naturalisation d’une personne étrangère née en France deviendrait impossible.

Délit de séjour irrégulier

Le rétablissement du « délit de séjour irrégulier » était qualifié d’inutile par le camp présidentiel. Mais la mesure, assortie d’une peine d’amende sans emprisonnement, a été retenue.

Centres de rétention administratif

Malgré les réticences de la droite, l’interdiction de placer des étrangers mineurs en rétention figure dans le compromis final.

Regroupement familial

Le durcissement des conditions du regroupement familial voté par le Sénat se retrouve pour l’essentiel dans le texte final, avec notamment une durée de séjour du demandeur portée à 24 mois (contre 18), la nécessité de ressources « stables, régulières et suffisantes » et de disposer d’une assurance maladie, ainsi qu’un âge minimal du conjoint de 21 ans (et plus 18).

Caution étudiants

La droite a obtenu l’instauration, sauf dans certains cas particuliers, d’une caution à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », visant à couvrir le coût d’éventuels « frais d’éloignement ».

Les macronistes avaient pourtant combattu cette mesure constituant à leurs yeux « une rupture d’égalité » entre étudiants et risquant de fragiliser les étudiants internationaux.

Aide médicale d’État

La suppression de l’Aide médicale d’État (AME), destinée à permettre l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière, était l’un des principaux chevaux de bataille de la droite. Mais les LR ont accepté d’y renoncer dans ce texte, moyennant la promesse d’une réforme du dispositif début 2024.

Le texte du projet de loi comprend en revanche une restriction de l’accès au titre de séjour « étranger malade ». Sauf exception, il ne pourra être accordé que s’il n’y a pas de « traitement approprié » dans le pays d’origine. Une prise en charge par l’assurance maladie sera par ailleurs exclue si le demandeur a des ressources jugées suffisantes.