(Madrid) « Corruption », « abolition de l’État de droit » : l’opposition de droite et une partie de la magistrature durcissent le ton en Espagne contre une loi d’amnistie des indépendantistes catalans que négocie le premier ministre sortant Pedro Sánchez en échange de sa reconduction au pouvoir.

Arrivé deuxième des élections législatives du 23 juillet, M. Sánchez a jusqu’au 27 novembre pour obtenir la confiance du Parlement et se maintenir au pouvoir, faute de quoi un nouveau scrutin devra être convoqué.

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Le premier ministre sortant Pedro Sánchez

Afin d’obtenir le soutien indispensable des députés des partis indépendantistes catalans, le socialiste a accepté leur exigence d’une loi destinée à amnistier les séparatistes poursuivis par la justice espagnole, notamment pour leur implication dans la tentative avortée de sécession de la Catalogne en 2017.

Déjà assuré du soutien de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), formation séparatiste modérée à la tête de cette région du nord-est de l’Espagne, il ne lui manque plus que le feu vert d’Ensemble pour la Catalogne (Junts Per Catalunya), le parti de Carles Puigdemont, leader des évènements de 2017.

L’entourage de M. Sánchez est optimiste sur la conclusion très prochaine d’un accord.

Dans ce contexte, la justice espagnole, qui réclame déjà M. Puigdemont pour son rôle dans les évènements de 2017, a annoncé lundi qu’il était également visé par une enquête relative aux troubles en Catalogne ayant suivi la condamnation de dirigeants indépendantistes à des peines de prison en 2019.

Réfugié en Belgique depuis six ans, M. Puigdemont a dénoncé sur X, un « coup d’État permanent » de la justice, accusée par les séparatistes d’être le bras de la « répression » de « l’État espagnol ».

Manifestations

Très controversé, ce projet de loi d’amnistie, qui devra être voté par le Parlement, suscite une levée de boucliers de l’opposition de droite qui a encore durci le ton ces derniers jours et a promis de multiplier les recours contre son application.

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Un manifestant brandit une pancarte indiquant « en prison », alors qu’il participe à un rassemblement contre le projet d’accorder une amnistie aux séparatistes catalans, le 29 octobre à Madrid.

Elle reproche à Pedro Sánchez, qui était lui-même opposé par le passé à une telle idée, d’être prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.

« Ils ne vont pas nous faire taire », a lancé lundi le chef du Parti populaire (PP, droite), Alberto Núñez Feijóo, arrivé en tête des législatives, mais qui a échoué fin septembre à être investi premier ministre, faute de soutiens suffisants.

Lundi soir, des milliers de manifestants se sont rassemblés devant le siège du Parti socialiste à Madrid, Barcelone et Valence, scandant des slogans tels que « Puigdemont, en prison » et « Sánchez, traître ! »

À Madrid, la police a finalement dispersé les manifestants avec des gaz lacrymogènes pour les empêcher de s’approcher du siège du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), selon des vidéos publiées sur les réseaux sociaux.  

Le chef du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, qui a participé à la manifestation de Madrid, avait auparavant appelé à une « mobilisation permanente, constante et croissante ».

M. Feijóo a appelé les sympathisants du PP à une nouvelle mobilisation dimanche pour défendre « l’État de droit » contre un « scandale […] d’une dimension inédite ».  

Une autre manifestation, à laquelle assisteront les dirigeants de la droite et de l’extrême droite, est prévue le 18 novembre à Madrid.

« Dégrader l’État de droit »

Le Conseil général du pouvoir judiciaire, l’organe chargé de nommer les juges, a approuvé un texte dans lequel ses membres conservateurs jugent que l’amnistie des indépendantistes pourrait « dégrader […] l’État de droit ».

Une partie de la magistrature a également critiqué, dans des termes particulièrement durs, ce projet d’amnistie qui suscite des critiques jusqu’au sein du PSOE.

L’Association professionnelle de la magistrature (APM), organisation conservatrice majoritaire chez les juges, a jugé jeudi que cette mesure ferait « exploser l’État de droit ».

À la suite de la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, des centaines de personnes ont été poursuivies par la justice. Les principaux dirigeants du mouvement ont alors fui à l’étranger, comme M. Puigdemont, ou ont été incarcérés en Espagne.

Porté au pouvoir moins d’un an après la tentative de sécession, Pedro Sánchez a fait de l’apaisement en Catalogne l’une de ses priorités.

Il a notamment gracié en 2021 les neuf indépendantistes condamnés à de la prison, et sa majorité a réformé l’année suivante le Code pénal pour abolir le crime de sédition pour lequel ils avaient été poursuivis.