La future reine d’Espagne vient de prêter serment dans un contexte politique fragile et compliqué.

Nom

Leonor de Borbón y Ortiz

Âge

18 ans

Fonction

Princesse des Asturies, héritière du trône d’Espagne

Signes distinctifs

Yeux bleus, renouveau, pression

Pourquoi on en parle

L’infante Leonor vient d’avoir 18 ans, ce qui la rend désormais apte à succéder à son père Felipe VI sur le trône d’Espagne. Elle a prêté serment cette semaine devant les deux chambres du Parlement réunies en séance extraordinaire, en jurant de « remplir fidèlement » ses fonctions, « de protéger et faire protéger la Constitution et les lois, de respecter les droits des citoyens et des communautés autonomes », et d’être fidèle au roi.

Une monarchie réhabilitée

La monarchie espagnole était très affaiblie ces dernières années. Les nombreux scandales liés au roi Juan Carlos (corruption, blanchiment d’argent, cadeaux douteux, dépenses extravagantes) avaient rompu le lien de confiance entre la famille royale et les Espagnols. La prestation de Leonor est une nouvelle étape dans le processus de réhabilitation mené par Felipe VI, qui a tenté de redorer le blason familial après l’abdication de son père (2014). « Ils se servent de la princesse, de sa jeunesse et de son rayonnement pour continuer ce travail de réinstauration de la monarchie », confirme l’historien Benoît Pellistrandi, expert de l’Espagne contemporaine.

PHOTO MANU FERNANDEZ, ASSOCIATED PRESS

La princesse Leonor et son père, le roi Felipe VI

Un système politique qui fonctionne

Comme le Royaume-Uni, l’Espagne est une monarchie parlementaire. La Couronne n’a pas de réel pouvoir législatif. Mais elle est essentielle au fonctionnement des institutions et demeure un symbole d’unité nationale. Pour Benoît Pellistrandi, la prestation de Leonor vient assurer l’avenir d’un système politique qui fonctionne. « Ça réarme un peu l’Espagne constitutionnelle par rapport à ceux qui estiment que le modèle est dépassé. »

Contestation et sortie de crise

Il faut savoir que le sentiment républicain reste vif en Espagne, auprès de la gauche radicale (Podemos) et des partis indépendantistes basques ou catalans en particulier. En 2020, 41 % des Espagnols se disaient en faveur d’une république (Institut 40 db). En 2023, selon une enquête Sigma DOS, 64 % des Espagnols trouvaient que l’image de la Couronne s’était améliorée, sans être pour autant favorables à la monarchie. « On ne pourra jamais récupérer les taux d’adhésion du début du XXIe siècle, c’est impossible, admet l’historien Jordi Canal, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Mais les sondages montrent que les gens sont en train de reconnaître le travail que fait Felipe VI. Depuis 2014, la monarchie espagnole a été exemplaire, transparente et s’est montrée utile. Donc je pense qu’elle est sortie de la crise. »

Une première reine depuis 1868

La prestation de Leonor est aussi le symbole du rôle nouveau des femmes dans une société espagnole qui tente tant bien que mal de se défaire de la culture du machisme. Qu’on pense à l’affaire du « baiser forcé » qui a secoué le soccer espagnol à la fin de l’été et valu une suspension de trois ans à Luis Rubiales, président de la fédération. « On projette cette jeune femme comme étant le symbole de cette égalité des femmes et des hommes obtenue dans une Espagne démocratique », souligne Benoît Pellistrandi. Lorsqu’elle montera sur le trône, Leonor deviendra la troisième reine de plein droit et non reine consort de l’histoire de l’Espagne, après Jeanne 1re de Castille, dite « La folle » (1504-1555), et Isabelle II (1833-1868).

Paysage politique fragmenté

Le serment de la princesse survient alors que l’incertitude règne sur la scène politique espagnole. Les élections de juillet n’ayant pas fait de vainqueur clair, le premier ministre sortant Pedro Sanchez est actuellement à la manœuvre pour tenter de former une coalition gouvernementale. Mais son succès dépend du soutien du parti indépendantiste catalan Junts per Catalunya, dirigé de la Belgique par Carlos Puigdemont, qui exige l’amnistie de tous les prisonniers politiques emprisonnés ou exilés depuis le référendum illégal de 2017. Sanchez ne ferme pas la porte au compromis, au grand dam de la droite et surtout du parti d’extrême droite Vox, qui a organisé le week-end dernier une grande manifestation à Madrid pour s’opposer à un tel pacte. Alliance empoisonnée ? « Ça va être fragile, évidemment, tranche Jordi Canal. Mais je pense que les indépendantistes n’en resteront pas là. Est-ce qu’ils vont soutenir le gouvernement longuement ? À quel prix ? »

PHOTO OSCAR DEL POZO, AGENCE FRANCE-PRESSE

La princesse Leonor salue la foule, après sa prestation de serment à Madrid, le 31 octobre.

People et politique

Longtemps préservée de l’œil médiatique, Leonor va progressivement entrer dans la vie institutionnelle et la mémoire émotionnelle des Espagnols. Son image propre et ses yeux bleus seront de plus en plus visibles dans la presse à potins. Mais elle doit avant tout faire son service militaire et ses études universitaires. « En espérant qu’elle sera épargnée par toutes les affaires people qui ne manqueront pas de se poser, conclut Benoît Pellistrandi. Hériter d’une couronne, ce n’est pas si simple… »