(Île de Rhodes) Depuis plus d’une semaine, la Grèce est confrontée à une série de violents incendies, alimentés par la vague de chaleur sans précédent que connaît le pays. Dans les régions touchées, c’est la dévastation, alors que la colère grandit contre le manque de préparation des autorités.

« Nous avons reçu une alerte d’évacuation sur notre téléphone, mais c’était déjà trop tard : on voyait les flammes s’approcher, alors nous sommes partis en courant », explique Callum, un touriste britannique venu avec sa fille et sa sœur pour des vacances dans le sud-est de Rhodes, en Grèce. Comme près de 30 000 personnes, dont de nombreux touristes, ils ont été obligés d’évacuer leur hôtel, en urgence et dans le chaos, le week-end dernier.

« Nous sommes traumatisés, encore plus lorsque nous avons appris que notre hôtel a brûlé. Nos passeports et deux bagages s’y trouvaient », explique l’homme qui, depuis, dort par terre à l’aéroport, en attente d’être rapatrié.

De violents incendies, toujours non maîtrisés, ravagent l’île très touristique de Rhodes depuis plus d’une semaine. Le feu ne cesse de gagner en intensité avec des vents violents, alors que de nombreuses ressources sont déployées sur le terrain pour tenter de le contenir.

Mais déjà, dans la zone touchée, les dégâts sont bien réels et on peut apercevoir des moments d’apocalypse figés dans le temps. Des repas qui trônent sur la table d’une terrasse, de nombreux animaux morts au bord des routes qui n’ont eu aucune chance ou encore des centaines de valises abandonnées par des touristes sur des plages. Filomonas est justement venu constater les dégâts au bar sur plage où il travaille l’été.

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Filomonas est venu constater les dégâts au bar sur plage où il travaille l’été.

J’ai vu tellement de panique et de gens pleurer, c’était terrible. De revenir ici et de voir tout vide, ça me déchire le cœur.

Filomonas

Comme bien d’autres, il est inquiet de l’avenir de son île natale.

Les images des évacuations dans le chaos ont fait le tour du monde. « Nous n’avons pas eu de dégâts matériels, mais les dégâts seront sans doute sur la saison touristique », confie Viesi Juri, gérant du Lardos Bay Hotel. En quelques minutes, il a dû évacuer samedi 350 touristes et des dizaines de membres de son personnel, alors que le feu était aux abords de l’établissement.

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Bâtiments endommagés par le feu, dans l’île de Rhodes

Dévastation et colère aux portes d’Athènes

« C’est une catastrophe, nous avons tout perdu. La maison de mon père et la mienne », dit John, un habitant de Mandra, une ville à moins de 30 kilomètres d’Athènes, qui a été la proie des flammes dans les derniers jours. John, comme bien d’autres Grecs, n’avait pas d’assurance habitation – qui n’est pas obligatoire dans le pays.

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John, résidant de Mandra

Alors qu’il revient constater les dégâts avec deux amis, il ne peut cacher sa colère. « Personne n’est venu ici nous sauver, pas de pompiers ni d’avions, est-ce normal ? Nous étions seuls, livrés à nous-mêmes, pendant qu’ils allaient secourir des gens dans des zones plus riches », déplore-t-il.

Un peu plus loin dans la rue dans ce quartier touché par les flammes, Sotiria apporte quelques bouteilles d’eau et des denrées aux sinistrés, alors qu’il fait une température caniculaire. « Ces gens-là ont été abandonnés, ils étaient seuls, ce n’est pas normal. Ils [le gouvernement] s’en foutent du bien-être des gens », déplore cette résidante de Mandra.

Il n’y a pas assez de prévention pour toute la Grèce, ils préfèrent investir dans des avions militaires que dans les vraies choses. La prévention, ça ne leur rapporte rien, alors ça ne les intéresse pas.

Sotiria

La Grèce est le pays de l’Union européenne qui consacre le plus important pourcentage de son produit intérieur brut (PIB) à la défense (3,7 % en 2022), selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). En comparaison, l’Allemagne y consacre 1,4 % et la France, 1,9 %. L’OTAN demande de consacrer l’équivalent de 2 % du PIB national annuel aux dépenses militaires.

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Dégâts causés par le feu à Mandra, près d’Athènes, mardi dernier

Un pays vulnérable aux changements climatiques 

La Grèce n’en est pourtant pas à ses premiers incendies. En 2018, plus de 100 personnes avaient péri lors d’un incendie dans la station balnéaire de Mati, alors qu’en 2021, près de 50 000 hectares ont brûlé dans l’île d’Eubée. « Comment se fait-il que nous n’ayons pas de plan national pour la prévention des incendies ? Pourquoi ne répondons-nous pas au problème en amont, alors que nous connaissons ce risque ? », s’interroge Elias Tziritis, de WWF Grèce, en rappelant que les incendies sont souvent d’origine humaine.

Un rapport de son organisme a révélé que 83,5 % des fonds publics grecs pour la protection contre les incendies étaient consacrés à la lutte contre les incendies de forêt entre 2016 et 2020 – et seulement 16,5 % à leur prévention, alors que les Nations unies préconisent au moins 45 %. « La Grèce est un hotspot des changements climatiques et connaîtra des conditions climatiques de plus en plus propices aux incendies », explique Apostolos Voulgarakis, professeur et spécialiste de la question des incendies et du climat à l’Université technique de Crète.

« En général, je ne suis pas de ceux qui veulent être alarmistes sans raison ou sans preuve, mais je dois dire que nous voyons maintenant vraiment une tendance globale d’augmentation rapide des températures, que nous n’avions jamais vue auparavant », explique le professeur.