(Londres) La condamnation d’une femme à une peine de prison pour avoir utilisé illégalement des pilules abortives afin de mettre tardivement fin à une grossesse suscite un vif débat en Angleterre. Certains disent que la loi – vieille de plus de 160 ans – en vertu de laquelle elle a été poursuivie est trop sévère, tandis que d’autres affirment que l’affaire illustre les dangers d’autoriser l’envoi de pilules abortives par la poste.

Que s’est-il passé exactement ?

Lundi, un tribunal de Stoke-on-Trent, une ville du centre de l’Angleterre, a condamné Carla Foster, 44 ans, à 28 mois de prison pour avoir provoqué sa propre fausse couche en prenant des pilules abortives alors qu’elle en était à son huitième mois de grossesse.

La peine comprend jusqu’à 14 mois de prison, après quoi elle pourra purger le reste de sa peine en liberté si elle respecte certaines conditions.

Début 2020, pendant la pandémie de COVID-19, Mme Foster, mère de trois enfants, était retournée vivre avec son partenaire de longue date, après être tombée enceinte d’un autre homme.

Le juge Edward Brian Pepperall a écrit dans son jugement que Mme Foster avait été en proie à des troubles émotionnels alors qu’elle cherchait à cacher sa grossesse.

En mai, elle a obtenu des médicaments abortifs par la poste après avoir donné de fausses informations au service britannique de conseil en matière de grossesse, a écrit le juge.

Bien que les pilules abortives soient offertes par la poste auprès de ce service au cours des 10 premières semaines de grossesse, les recherches effectuées par Mme Foster sur l’internet indiquaient qu’elle savait qu’elle était enceinte de plus de 24 semaines, soit la limite légale pour la plupart des avortements, selon les documents du tribunal.

Peu de temps après avoir pris les médicaments, sa grossesse s’est terminée par une mortinaissance, selon le tribunal. Des ambulanciers sont arrivés sur les lieux et Mme Foster leur a dit qu’elle avait compris qu’elle devrait parler à la police.

Un examen post-mortem a confirmé que la grossesse se situait entre 32 et 34 semaines, a écrit le juge. Une grossesse à terme dure environ 40 semaines, soit 9 mois.

Mme Foster avait d’abord plaidé non coupable, mais en mars dernier, elle a plaidé coupable d’avoir « administré du poison dans l’intention de provoquer une fausse couche ».

Le juge a écrit dans sa décision que Mme Foster était une bonne mère pour ses trois enfants, dont l’un a des besoins particuliers, et il a reconnu qu’ils souffriraient de l’emprisonnement de leur mère.

En prononçant la sentence, le juge a écrit : « L’équilibre établi par la loi entre les droits reproductifs d’une femme et les droits de son fœtus à naître est une question délicate et souvent controversée. »

Quelles sont les lois sur l’avortement en Angleterre ?

L’avortement est légal en Angleterre, en Écosse et au pays de Galles depuis la loi sur l’avortement de 1967, et l’accès à la procédure est généralement facile, selon les experts.

Les avortements sont autorisés au cours des 24 premières semaines de grossesse et doivent être approuvés par deux médecins.

Au cours des 10 premières semaines, les femmes peuvent se faire avorter en se faisant prescrire deux médicaments, ce qui, dans les années précédentes, aurait généralement nécessité une visite dans une clinique. Pendant la pandémie, lorsqu’il est devenu difficile et risqué d’obtenir des services en personne, le gouvernement britannique a décidé que les médicaments pouvaient être fournis sans rendez-vous.

Cette décision a été rendue permanente en août dernier.

Les avortements tardifs sont autorisés dans certains cas exceptionnels, notamment lorsque la santé de la mère est en danger ou en cas d’anomalie du fœtus.

Cependant, lorsque le Parlement a adopté la loi de 1967 autorisant les avortements, il n’a pas abrogé une loi antérieure qui les avait criminalisés. Dans de rares cas, l’avortement peut donc encore faire l’objet de poursuites pénales.

En vertu d’une loi adoptée en 1861, toute femme qui prend du « poison » dans l’intention de provoquer une fausse couche de son propre fœtus « sera coupable d’un crime » et passible « d’être maintenue en servitude pénale à vie ».

Quels sont les appels à la dépénalisation ?

Caroline Nokes, membre du Parti conservateur au pouvoir et présidente de la Commission des femmes et de l’égalité à la Chambre des communes, a déclaré à la BBC, après la décision du tribunal, que l’Angleterre « s’appuyait sur une législation très obsolète ».

Elle a déclaré que la condamnation « justifie que le Parlement commence à examiner cette question en détail ».

Louise McCudden, responsable des affaires extérieures de MSI Reproductive Choices, une organisation britannique de défense de la santé des femmes, a déclaré dans une entrevue que même si les poursuites étaient rares, la loi devait être modifiée.

« Chaque cas est un cas de trop », a-t-elle affirmé.

Pourquoi a-t-on réclamé des règles plus strictes ?

Les groupes qui font campagne contre l’avortement ont fait valoir que cette affaire illustrait les conséquences tragiques de la décision du gouvernement d’autoriser l’envoi de pilules abortives par la poste. Ils ont également déclaré que le Parlement devrait agir sur la base de cette affaire, en restreignant davantage la procédure.

« Le gouvernement devrait de toute urgence revenir en arrière et mettre fin à cette politique désastreuse d’avortements bon marché, pratiques et envoyés par la poste », a affirmé Andrea Williams, directrice générale de Christian Concern, un groupe évangélique de défense des droits de l’homme, dans un communiqué.

« À 32 semaines de gestation, un bébé à naître a 95 % de chances de survivre s’il est mis au monde, a-t-elle ajouté. Notre loi sur l’avortement reconnaît à juste titre que ces êtres précieux méritent d’être protégés. »

James Mumford, un auteur qui étudie la théologie politique, la pensée sociale catholique moderne et la bioéthique, a déclaré lundi à l’émission Newsnight de la BBC Two que l’Angleterre avait une « culture extrême de l’avortement sur demande ».

Il a qualifié le cas Foster de conséquence naturelle de la mise à disposition de pilules abortives par la poste, qu’il a qualifiée de « désastre total ».

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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