L’armée ukrainienne intensifie ses opérations à différents points de la ligne de front avec les forces russes, témoignant de l’imminence d’une contre-offensive qui pourrait s’avérer déterminante pour Kyiv.

Dominique Arel, un spécialiste du pays rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le régime du président Volodymyr Zelensky veut dissiper l’idée que le conflit est irrémédiablement gelé et que le moment est venu de conclure un accord qui viendrait en quelque sorte formaliser le statu quo et la partition de facto du pays.

« Ce discours reste minoritaire, mais on entend que l’Ukraine n’a aucune chance de gagner face à la Russie, que soutenir le pays ne fait que prolonger les souffrances et multiplier les morts, que ça alimente un risque d’escalade avec l’OTAN », résume le chercheur en relevant que la Chine, proche alliée de Moscou, défend notamment ce point de vue.

La situation sur le terrain n’a pratiquement pas changé depuis novembre, après que les forces ukrainiennes eurent repris Kharkiv dans le Nord et la ville de Kherson dans le Sud, mais rien ne dit qu’une nouvelle percée est inimaginable, note M. Arel.

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Un char d’assaut dans les rues de Voltchansk

Les forces ukrainiennes ont renforcé leur arsenal avec le soutien de leurs alliés occidentaux, en intégrant notamment des chars modernes, et ont formé plus de 60 000 soldats pour servir de fer de lance face aux troupes russes, qui contrôlent des pans importants du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, et un corridor important de territoire dans le sud du pays.

Liam Collins, un analyste militaire américain, pense que le corridor en question, regroupant la région de Zaporijjia et une partie de celle de Kherson, demeure la cible la plus probable de la contre-offensive parce que la Russie a eu moins de temps pour renforcer ses positions défensives dans ces zones.

Les forces ukrainiennes ont déjà montré qu’elles étaient capables de mener des « contre-offensives » efficaces et devraient être en mesure de faire des gains encore une fois, note l’analyste, qui s’attend à une bataille difficile.

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Un résidant de Voltchansk trouve refuge dans un abri de fortune lors de bombardements.

Les forces russes sont plus nombreuses, mais leur moral demeure mauvais, souligne M. Collins, qui évoque les tensions existantes entre le haut commandement de l’armée et le groupe Wagner, une milice ayant joué un rôle important dans la bataille de Bakhmout. « Ce qu’on voit comme accrochages, c’est digne de l’opéra », a indiqué l’analyste.

Evguéni Prigojine, qui chapeaute la milice, a encore une fois critiqué l’armée lundi en soulignant que les forces ukrainiennes avaient fait des gains au nord de la ville au cours des derniers jours.

« Ça peut jouer dans les deux sens »

Eugene Rumer, un spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace, pense que le président russe, Vladimir Poutine, continue de jouer la durée en espérant que le soutien des États-Unis et de l’Union européenne à Kyiv s’érode avec le temps.

Son objectif principal face à la contre-offensive est de priver son homologue ukrainien d’un gain suffisamment important pour crier victoire et marteler que le soutien occidental à la cause ukrainienne mérite d’« être maintenu » jusqu’à ce que l’ensemble du territoire occupé soit repris ou que la Russie décide de plier bagage.

M. Rumer pense que le chef de l’État russe ne reculera pas quoi qu’il advienne et préférera intensifier le conflit, potentiellement par le recours à l’arme nucléaire, s’il se retrouve placé au pied du mur en raison de l’épuisement de ses ressources.

Le poids du dirigeant du groupe Wagner, qui a recruté des dizaines de milliers de combattants dans les prisons russes, témoigne du fait que le Kremlin a besoin de sa force de frappe, dit l’analyste.

Dominique Arel note que l’armée russe a manifestement perdu toute capacité offensive et n’a d’autre choix que de chercher à renforcer ses positions défensives pour tenter de limiter les avancées ukrainiennes.

Les dirigeants ukrainiens sont demeurés discrets au cours de la fin de semaine sur la situation militaire en insistant sur la nécessité de ne pas ébruiter leur stratégie.

Les renseignements disponibles suggèrent, note M. Collins, que des opérations limitées sont en cours pour tenter de déterminer les points de la ligne de front les plus fragiles avant l’offensive en bonne et due forme.

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Des résidants des zones frontalières de l’Ukraine dans la région russe de Belgorod ont dû être évacués. Certains d’entre eux ont trouvé refuge dans un abri temporaire (sur la photo).

Des efforts de diversion sont aussi lancés, note l’analyste, qui voit les opérations menées récemment par des combattants pro-Kyiv dans la région russe de Belgorod comme une stratégie forçant l’armée adverse à envisager le redéploiement de troupes pour mieux protéger ses frontières.

« Il s’agit aussi d’une bonne façon d’envoyer un message très puissant à la population russe qu’elle n’est pas à l’abri. Une ville a dû être évacuée en raison de tirs d’artillerie soutenus, ce n’est pas quelque chose que le régime russe avait prévu », relève M. Rumer, qui n’écarte pas la possibilité que ces attaques servent ultimement la propagande de Vladimir Poutine.

« Il pourrait dire : “Voyez ! C’est pour nous protéger de ce type de traîtrise que j’ai lancé l’opération en Ukraine.” Ça peut jouer dans les deux sens », relève l’analyste.