Les équipes de défense aérienne de l’armée ukrainienne postées près de Kyiv repoussent avec succès les assauts russes, qui peuvent être implacables

Trouver, cibler, abattre.

L’exercice est le même pour les équipes de défense aérienne de l’Ukraine, qui travaillent 24 heures sur 24 pour lutter contre le barrage incessant de missiles que les Russes lancent sur Kyiv, déjouant la plupart du temps les bombardements les plus intenses.

Au cours du seul mois de mai, la Russie a bombardé Kyiv à 17 reprises. Elle a tiré des missiles hypersoniques à partir d’avions de chasse MiG-31 et a attaqué avec des missiles balistiques terrestres suffisamment puissants pour raser un immeuble entier. Les bombardiers et les navires russes ont tiré des dizaines de missiles de croisière à longue portée, et plus de 200 drones d’attaque ont participé à des raids éclair destinés à désorienter et à submerger les défenses aériennes ukrainiennes.

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Les défenses aériennes ukrainiennes tirent pour arrêter les drones lors d’un bombardement visant Kyiv tôt mardi matin.

Pour les défenseurs ukrainiens, il s’agit d’une lutte constante. Les assauts russes peuvent être implacables. Ils ont lieu la plupart du temps la nuit, mais parfois en pleine journée, comme ce fut le cas lundi.

Même lorsque l’Ukraine parvient à faire exploser les missiles dans le ciel, la chute de débris peut entraîner la mort et la destruction. Tôt jeudi, la Russie a envoyé une volée de dix missiles balistiques sur Kyiv ; les autorités ukrainiennes ont déclaré qu’ils avaient tous été abattus, mais que les fragments tombés avaient tué trois personnes, dont un enfant, et blessé plus d’une douzaine d’autres.

Des vies sauvées

Pourtant, dans l’ensemble, très peu de missiles ont franchi le réseau complexe et de plus en plus sophistiqué de défense aérienne autour de la capitale ukrainienne, ce qui a permis de sauver des dizaines de vies.

« Nous n’avons pas de jours de repos », a déclaré Riabyi, le surnom du « tireur » de 26 ans qui fait partie d’une équipe de missiles antiaériens composée de deux personnes chargées de protéger une zone de ciel située juste à l’extérieur de Kyiv.

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Des militaires ukrainiens montrent le fonctionnement d’un système de défense aérienne mobile, près de Kyiv.

Les défenses aériennes de l’Ukraine sont une courtepointe d’armes cousues ensemble, dont beaucoup ont été récemment fournies par l’Occident. Elles protègent des millions de civils à Kyiv et dans d’autres villes, ainsi que des infrastructures critiques, dont quatre centrales nucléaires en activité. Tom Karako, directeur du projet de défense antimissile au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, dit que c’est « un peu n’importe quoi ».

Des centaines de personnes comme Riabyi sont équipées de missiles sol-air Stinger de fabrication américaine et d’autres armes portables. Beaucoup d’autres utilisent des lanceurs plus complexes arrivés récemment, comme le Patriot (américain), le NASAMS (américano-norvégien) et le SAMP/T (franco-italien). L’Ukraine utilise également des canons antiaériens Gepard de fabrication allemande et un ensemble de défenses aériennes datant de l’ère soviétique.

Rôle essentiel dans la contre-offensive

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a une nouvelle fois remercié les « défenseurs du ciel » dans son discours à la nation mardi soir. La bataille dans le ciel, a-t-il précisé, est aussi importante que la lutte sanglante menée par les soldats sur terre.

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Des tridents ukrainiens, représentant le nombre de drones, d’avions de chasse et de missiles abattus par une équipe de défense aérienne ukrainienne, sur le côté d’un camion dans la région de Kyiv

Selon l’armée de l’air ukrainienne, les équipes de défense aérienne ont réussi à abattre environ 90 % des missiles et des drones en approche ces derniers temps et, fait remarquable, 100 % des missiles balistiques visant Kyiv. Ces statistiques n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante.

Les moyens de défense aérienne joueront également un rôle essentiel dans la contre-offensive imminente de l’Ukraine, en protégeant les armes nouvellement acquises lors de leur préparation au combat et en fournissant une couverture aux troupes ukrainiennes si elles parviennent à percer les lignes russes.

La poursuite du succès dans le ciel n’est cependant pas du tout assurée.

Des documents du Pentagone rendus publics en avril expriment une profonde inquiétude quant à la possibilité pour la Russie d’obtenir la supériorité aérienne lorsque l’Ukraine sera à court de missiles antiaériens pour les systèmes de conception soviétique S-300 et Buk qui constituent toujours l’épine dorsale des défenses aériennes de l’Ukraine.

Depuis la publication de cette analyse, les alliés occidentaux de l’Ukraine ont accéléré la livraison de nouveaux systèmes et de munitions. L’arrivée de deux batteries Patriot à la fin du mois d’avril a permis à l’Ukraine de se doter de son premier système conçu pour abattre des missiles balistiques.

Intercepter les missiles

Les systèmes de défense aérienne s’appuient sur diverses méthodes pour abattre les missiles en approche. Dans le cas d’un missile de croisière, qui peut se déplacer à environ 800 km/h, un intercepteur peut cibler sa signature thermique ou suivre un laser projeté sur le missile par le défenseur ukrainien, entre autres méthodes.

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Des bénévoles de la fondation caritative Hurkit testent la portée des projecteurs dans le ciel nocturne, dans la région de Kyiv.

Les missiles balistiques peuvent se déplacer beaucoup plus rapidement. Les Ukrainiens les ciblent à l’aide de missiles intercepteurs également capables de se déplacer à grande vitesse et dotés de leurs propres systèmes de guidage et de radar pour faciliter la poursuite à de telles vitesses. Le seul moyen de défense éprouvé contre les puissants missiles russes Iskander est le système de défense aérienne américain Patriot, qui peut être tiré dans les neuf secondes suivant l’identification d’une cible.

L’Ukraine doit néanmoins prendre des décisions difficiles quant à la manière de déployer des ressources limitées.

Selon M. Karako, du Missile Defense Project, les récentes attaques contre Kyiv ont montré « à quel point un assaut aérien concerté peut être stressant et difficile », soulignant la nécessité pour l’Ukraine de continuer à renforcer ses défenses alors que les Russes tentent de les affaiblir.

Bien que les responsables ukrainiens et occidentaux aient fait remarquer que la Russie manquait probablement de missiles de précision et qu’elle s’appuyait davantage sur des missiles et des drones moins précis, Moscou a montré qu’il avait toujours la capacité d’organiser des attaques à un rythme régulier.

Pas les résultats souhaités par Moscou

Depuis que la Russie a lancé son invasion à grande échelle il y a 15 mois, elle a tiré plus de 5000 missiles et drones d’attaque sur des cibles en Ukraine, selon une étude récente du Center for Strategic and International Studies.

Mais comme les offensives terrestres de la Russie, les assauts aériens n’ont pas produit les effets militaires stratégiques souhaités par Moscou, selon l’étude, et les défenses aériennes ukrainiennes ont « grandement influencé le cours de la guerre, en limitant la puissance de frappe russe ».

Pour les habitants de Kyiv, ces opérations éclair quasi nocturnes sont épuisantes et terrifiantes. La première alarme retentit généralement après minuit et les assauts durent des heures.

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Des patients et du personnel médical, dont des soldats blessés, s’abritent dans le sous-sol d’un hôpital à Kyiv. De nombreuses personnes suivent des chaînes Telegram qui diffusent des rapports radar, fournissant des informations en temps réel sur les menaces imminentes.

« Je vérifie les informations pour essayer de comprendre ce qui vole et d’où », a déclaré Natalia Ulianytska, 32 ans, militante des droits de l’homme qui vit à Kyiv.

« Lorsqu’il y a une attaque massive de missiles, je vais aux toilettes avec mon chat », a déclaré Mme Ulianytska.

Riabyi, l’artilleur, explique qu’il a dû apprendre sur le tas. Il était encore en train de s’entraîner dans une base de l’ouest de l’Ukraine lorsque la Russie a envahi le pays.

Sa femme, enceinte de leur premier enfant, a fui leur maison au nord de Kyiv avant que les soldats russes n’occupent le village ; Riabyi a été envoyé à Kyiv.

Sa fille est née en mai, mais il ne l’a vue pour la première fois qu’en décembre. Ils ont passé quelques jours ensemble, puis il a dû retourner à son poste pour s’assurer qu’elle puisse dormir en toute sécurité.

Lisez le texte original sur le site du New York Times (en anglais, sur abonnement)