C’est le plus psychorigide des politiciens français. Mais son nouveau roman fait couler de l’encre à cause de ses passages olé olé. Bruno Le Maire vient-il de se tirer une balle dans le pied ?

Olé olé ? Vous m’intriguez…

Ce n’est pas Histoire d’O, calmons-nous. Le roman, intitulé Fugue américaine, est consacré au grand pianiste classique Vladimir Horowitz. Rien de trop coquin. Mais il y a quelques extraits, plus osés, où le narrateur, Oskar Wertherimer, évoque ses ébats avec une certaine Julia.

Et qui disent quoi ?

Je cite quelques lignes, si vous permettez : « Il lui arrivait de soulever son t-shirt gris pâle pour exhiber ses seins : “Tu as vu comme ils sont gros aujourd’hui ? Tu as vu, Oskar ?” […] Elle me tournait le dos ; elle se jetait sur le lit ; elle me montrait le renflement brun de son anus : “Tu viens, Oskar ? Je suis dilatée comme jamais.” »

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Bruno Le Maire est surtout connu pour son côté psychorigide.

Ouh là ! C’est chaud !

Oui, et plutôt étonnant de la part de Bruno Le Maire, 54 ans, ministre de l’Économie et des Finances depuis six ans. On connaît surtout le monsieur pour son côté psychorigide, sa rhétorique imparable et son calme olympien. Pendant la crise de la COVID-19, sa politique du « Quoi qu’il en coûte » lui a valu des applaudissements. C’est un monsieur respecté et respectable.

Avec des ambitions littéraires…

En effet. Bruno Le Maire se rêve en écrivain. Il a publié une vingtaine de livres depuis 20 ans, cinq au cours des quatre dernières années ! Certains sont politiques, d’autres plus personnels. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il flirte avec l’érotisme. Le ministre, livre autobiographique lancé en 2004, comporte quelques scènes plus cochonnes qu’on ne vous citera pas. Détail qui en dit long : il se vante de compter Michel Houellebecq parmi ses amis, ayant même inspiré un personnage du roman Anéantir. « C’est incontestablement quelqu’un qui aime écrire. Ce n’est pas surfait, résume le politologue français Jean Petaux. Il est capable de jouer sur plusieurs registres et ne s’interdit pas une dimension plus romancée. »

Est-ce le premier politique français à se prendre pour un écrivain ?

Grand Dieu, non ! En France, publier est devenu un exercice quasi obligé pour toute personnalité avec un plan de carrière, des visées électorales ou des faits d’armes à revendiquer. De Gaulle, Macron, Sarkozy, Hollande, Mitterand, ils l’ont tous fait, avant ou après leur mandat. On parle ici de livres politiques, où s’exprime une certaine vision de la France. Sans compter les lettres d’amour de François Mitterrand à Anne Pingeot, publiées en 2021, ou l’Anthologie de la poésie française dirigée par Georges Pompidou en 1961. Mais des livres de fiction, osés de surcroît, c’est beaucoup plus rare.

Il y en a eu ?

On pense d’emblée à Valéry Giscard d’Estaing (président de 1976 à 1981) qui a commis cinq romans, dont au moins deux plus « intimes ». Dans Le passage (1994), un notaire de province s’éprend d’une jeune beauté blonde. Dans La princesse et le président, il raconte une idylle fictive entre un président français (qui lui ressemble étrangement) et une princesse britannique (qui ressemble étrangement à Lady Di). Dans les deux cas, réception assez tiède. « Il y a des scènes à caractère érotique, mais c’est quand même un peu laborieux. C’est de la littérature Harlequin. Ça n’a pas fonctionné du tout. La critique n’a jamais été sympathique à son endroit », résume Jean Petaux.

PHOTO CAISA RASMUSSEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les ambitions présidentielles de Bruno Le Maire sont connues. Mais certains pensent que cette « fugue littéraire » peut nuire à son image et à sa crédibilité.

À ce sujet, comment a été reçu le livre de Bruno Le Maire ?

Ça fait le buzz, comme ils disent en France. Mais pas forcément pour les bonnes raisons. Sur les réseaux sociaux, on se moque de ses velléités d’écrivain. De son style « malaisant ». De sa « pauvreté sensorielle pitoyable ». D’autres lui reprochent de mettre ses énergies au mauvais endroit, alors que l’inflation mine le pays. « Le paquet de pâtes, il est à 2,30 euros, mais Bruno Le Maire, il a le temps d’écrire sur le “renflement brun de son anus” », s’offusque un internaute. Le principal intéressé jure que son dada ne compromet pas son travail. Qu’il en a besoin pour vivre. Mais pour Jean Petaux, c’est peut-être là qu’il a fauté. « Les Français sont volontiers critiques et suspicieux à l’égard de la classe politique. Quand ils apprennent que leur ministre de l’Économie a écrit quatre ouvrages en cinq ans, pour eux, c’est difficile à comprendre. Ils se disent : il n’a que ça à foutre ? »

Pas bon pour sa carrière, du coup ?

Les ambitions présidentielles de Bruno Le Maire sont connues. Il était candidat à la primaire de la droite en 2016. L’Élysée n’est pas un tabou pour lui. Peut-être même lorgne-t-il du côté de Matignon, la résidence du premier ministre. Mais certains pensent que cette « fugue littéraire » peut nuire à son image et à sa crédibilité. Dans un article du Monde, paru au début de la semaine, l’essayiste Alain Minc conclut en ces termes : « Tu avais 5 % de chances d’être premier ministre. Avec ton bouquin, elles sont tombées à zéro… »