Le couronnement d’un monarque britannique est un rituel dont les gestes se sont définis au fil des siècles. Mais le poids de la tradition pèse parfois trop lourd et rien n’est trop sacré pour ne pas être repensé…

À qui appartient la « Pierre du destin » ?

L’un des objets les plus symboliques – et parmi les plus controversés – de la cérémonie du couronnement concerne l’endroit précis où le roi posera ses fesses : le trône. Parce que la pièce maîtresse de ce trône médiéval n’appartient pas aux Anglais, mais bien aux Écossais.

Depuis le XIVe siècle, les monarques anglais s’assoient sur ce siège inconfortable pour y recevoir la couronne qui scellera leur autorité sur le royaume. Mais le fauteuil de bois de chêne a perdu de sa superbe depuis l’époque médiévale. Ses dorures se sont écaillées. Ses incrustations de verre coloré ont disparu. Le trône royal est même couvert… de graffitis.

Mais ce n’est pas pour cette raison que le « trône de saint Édouard » est controversé. L’objet qui est sujet de disputes centenaires se trouve exactement sous le postérieur du monarque.

Encastré dans la base du siège se trouve un morceau de grès rose qui pèse 152 kg. Cette pierre ne brille pas de mille feux, mais ça ne l’empêche pas d’être très précieuse aux yeux des Britanniques, et surtout des Écossais. Il s’agit de la « Pierre du destin ».

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Depuis le XIVe siècle, les monarques anglais s’assoient sur ce trône pour y recevoir la couronne qui scellera leur autorité sur le royaume.

La légende biblique veut qu’il s’agisse de la pierre qui aurait servi d’oreiller au patriarche israélite Jacob, dont l’histoire est relatée dans le livre de la Genèse. La pierre aurait ensuite été transportée en Égypte, en Espagne, puis en Irlande en 700 av. J.-C.

Toujours selon la légende, un roi du Dál Riata – un royaume qui englobait des parties de l’Irlande et de l’Écosse – aurait ensuite emporté la pierre de l’autre côté de la mer. Elle aurait abouti vers l’an 840 de notre ère dans l’abbaye du village de Scone (au nord d’Édimbourg), nouvelle capitale désignée par le premier roi écossais Kenneth 1er.

Pendant des siècles, la pierre sacrée aurait consacré les cérémonies de couronnement des monarques écossais. Jusqu’à ce jour de 1296, où le roi anglais Édouard 1er, victorieux de la Bataille de Dunbar, est débarqué à l’abbaye de Scone.

C’est à ce moment que la légende cède la place à l’histoire : si les spécialistes débattent encore de l’authenticité de la pierre remise au conquérant anglais (une hypothèse veut que les moines écossais aient caché la « vraie pierre » avant l’arrivée des Anglais…), Édouard 1er repart à Londres avec ce qu’il annonce être la fameuse « Pierre du destin » dans ses bagages.

Il la conservera précieusement à Westminster, sous ce trône doré qu’il a fait construire exprès pour y asseoir (littéralement !) son pouvoir sur son royaume. Au grand dam des Écossais, qui ont toujours considéré la Pierre du destin comme la leur.

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Le trône de bois de chêne a perdu de sa superbe depuis l’époque médiévale.

La science et la légende

Mais cette pierre sur laquelle s’assoira à son tour le roi Charles III a-t-elle vraiment voyagé de Jérusalem à Londres ?

Pas exactement.

D’abord, les géologues britanniques ont démontré en 1998 que le grès de la pierre était le même que celui qu’on retrouve dans la région où se trouve l’abbaye de Scone. Le patriarche Jacob et les rois d’Irlande ont probablement eu, eux aussi, leurs pierres sacrées, mais il ne s’agissait pas de celle rapportée de Scone en 1296.

Par ailleurs, les géologues ont aussi confirmé que la pierre du trône anglais était bien celle qu’Édouard 1er a rapportée d’Écosse en 1296. C’est qu’en 1950, la « Pierre du destin » avait été volée à Westminster par quatre étudiants écossais avant d’être rendue aux autorités trois mois plus tard. Depuis ce jour, un certain doute persistait sur l’authenticité de la pierre sur laquelle la reine Élisabeth II avait été couronnée en 1952…

En 1996, dans un geste interprété comme une main tendue aux nationalistes, le premier ministre britannique John Major a rendu la Pierre de Scone aux Écossais. Ceux-ci en ont désormais la garde au château d’Édimbourg, en promettant de la « prêter » à Westminster lors des couronnements.

Et c’est ainsi que la Pierre a été transportée à Londres le 29 avril, bien protégée dans un caisson de chêne. Lors d’une cérémonie à Westminster, le représentant du monarque en Écosse, Joseph Morrow, a célébré ce retour comme étant « un acte d’unité et un symbole d’amitié ».

Un enthousiasme que ne partage guère certains nationalistes écossais… En mars, l’ancien premier ministre écossais Alex Salmond avait suggéré que le gouvernement s’oppose au retour de la pierre en Angleterre. « Dans un contexte où la demande légitime du peuple écossais d’avoir un [second] référendum sur l’autodétermination a été refusée par le gouvernement de Westminster », a-t-il déclaré au journal The National, « je ne vois vraiment pas pourquoi un gouvernement écossais devrait docilement dire “on vous retourne la propriété que vous nous avez volée il y a 700 ans…” »

Ornements

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À l’origine, le trône était recouvert de dessins élaborés d’oiseaux, d’animaux et de feuilles dorées, avec des incrustations de verre coloré. À l’arrière, l’effigie d’un roi (on hésite entre Édouard Ier ou son prédécesseur, Édouard le Confesseur) représente le monarque avec les pieds reposant sur un lion.

Graffitis

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Si le trône est aujourd’hui protégé derrière un mur vitré dans l’abbaye de Westminster, il n’en a pas toujours été ainsi. Des écoliers et des touristes du XVIIIe et du XIXe siècle n’ont pu s’empêcher d’y graver leurs initiales pour la postérité. L’un d’eux s’est même vanté d’y avoir posé… son postérieur : sur le siège, on peut y lire que « P. Abbott slept in this chair 5-6 July 1800 ».

Ancrages

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Longtemps, on a pensé que ces anneaux de fer avaient été installés pour pouvoir plus facilement transporter la pierre. Mais les historiens estiment maintenant qu’ils ont été installés pour enchaîner la pierre au sol de Westminster. Vers 1324, un abbé aurait voulu éviter que le roi Édouard II se serve de la Pierre du destin comme monnaie d’échange lors de négociations avec les Écossais !

L’éclat terni des diamants de la reine

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Le roi George V et la reine Marie lors de leur couronnement en 1911

Il n’y a pas que le roi qui porte une couronne. La reine consort aussi a droit à la sienne. Mais laquelle choisir ? La bijouterie royale compte elle aussi quelques cailloux controversés…

Une « vieille » couronne pour Camilla

Depuis 1727, toutes les reines consorts ont eu droit à leur propre couronne originale. Mais ça ne sera pas le cas de Camilla. Dans un souci de « durabilité et d’efficacité », il a été décidé que la nouvelle reine consort réutilisera une couronne datant de 1911 : celle de la reine Marie, femme de George V et arrière-grand-mère de Charles III. « La couronne de la reine Marie a été créée pour pouvoir être portée par toutes les reines consorts », précise Justin Vovk, historien à l’Université McMaster, en Ontario. Sauf que lorsque son mari est mort et que son fils George VI est devenu roi en 1937, la reine Marie a conservé sa couronne et une autre parure a été créée pour sa bru, la reine Élisabeth, femme de George VI et mère d’Élisabeth II. C’est la première fois que la couronne sera réutilisée.

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La couronne de la reine Marie, avec ses huit arches

Des arches modulables

Le cadre de la couronne est fait d’argent et d’or, et est serti de plus de 2000 diamants. Huit arches détachables permettent d’adapter la parure selon les occasions – par exemple, la reine Marie n’avait conservé que la base (le circlet) lorsqu’elle l’a portée lors du couronnement de son fils, George VI, en 1937. Camilla ne gardera que quatre arches pour la cérémonie du 6 mai.

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Le Koh-i-Noor sur la couronne de la reine Marie, ici sans les arches

La pièce maîtresse : le Koh-i-Noor

Controversée, la couronne l’est surtout en raison du gros diamant de 106 carats qui ornait la façade lors de sa création. Le Koh-i-Noor (la « montagne de lumière ») a d’abord fait la fierté des empereurs indiens au XVIe siècle, avant de passer entre les mains des shahs de Perse, puis des émirs afghans, puis de revenir chez les maharajas sikhs indiens au début des années 1800. « Quand le gouvernement britannique s’est installé en Inde en 1849, le maharaja de l’époque, âgé de 10 ans, a signé un traité avec le Royaume-Uni, dit Justin Vovk. On ne sait pas exactement à quel point cet acte relevait de sa propre volonté, ou s’il a été forcé de le faire, mais il a cédé une bonne partie du contrôle de l’Inde à la Grande-Bretagne. » Le jeune maharaja aurait donné le diamant à la reine Victoria en guise de compensation pour son aide pour mettre fin aux guerres qui déchiraient le pays. Il appartient depuis ce temps au gouvernement britannique.

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La couronne de la reine mère Élisabeth, créée en 1937, sur laquelle a été posée le diamant Koh-i-Noor

Un joyau brillant, mais embarrassant

Après avoir été porté sur la poitrine de la reine Victoria et sur la tête des reines consorts Alexandra et Marie, le Koh-i-Noor a finalement été intégré à la couronne de la reine mère Élisabeth en 1937, où il se trouve toujours. Mais depuis les années 1970, plusieurs voix en Inde ont réclamé sa restitution. Le Koh-i-Noor a-t-il été réellement « donné » à la reine Victoria ? En 2016, le gouvernement indien a déclaré que le diamant « n’a été ni volé ni pris de force », mais a néanmoins demandé qu’il soit restitué « d’une manière amicale ». Le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan ont également réclamé la propriété du diamant. Mais jusqu’ici, la Grande-Bretagne n’a fait savoir aucune intention de le restituer. « C’est une question difficile pour le gouvernement. Si le diamant est retourné, ce serait comme d’admettre qu’il n’aurait jamais dû lui appartenir. Et si on le fait avec un objet, ça ouvre la porte à d’autres réclamations », dit Justin Vovk.

Les diamants Cullinan

La famille royale a donc préféré laisser le Koh-i-Noor au musée de la Tour de Londres et orner la couronne de Camilla avec trois diamants qu’affectionnait la reine Élisabeth II : les diamants Cullinan. Originaires d’Afrique du Sud, ces diamants ont été extraits en 1905 dans la mine du même nom. « Contrairement au Koh-i-Noor, ils n’ont pas été donnés en cadeau, ils ont été achetés par le gouvernement colonial britannique », précise Justin Vovk. Ce qui n’empêche pas des Sud-Africains de réclamer également leur retour au pays. « Il y a une campagne de pétition en Afrique du Sud, dit M. Vovk. mais comme ils ont été achetés, c’est plus difficile de demander une restitution… »

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La reine consort Élisabeth avec sa fille, future Élisabeth II

La couronne de la reine mère Élisabeth

Même si la couronne de la reine Marie devait servir aux autres reines consorts, celle qui lui a succédé, Élisabeth (la mère d’Élisabeth II), s’est plutôt fait faire une couronne sur mesure, plus haute et avec encore plus de diamants. Pourquoi avoir choisi de créer une couronne aussi ostentatoire à l’époque de son couronnement en 1937 ? « Il fallait envoyer un message de force et de stabilité, rappelle Justin Vovk. Le roi George VI est monté sur le trône parce que son frère aîné avait abdiqué. Et en 1937, c’était à l’aube de la guerre en Europe. Alors, la famille royale a pensé qu’elle devait afficher plus de grandeur et d’opulence pour affirmer le pouvoir de la monarchie. »

Couronner sans cruauté animale… ou presque

Connu pour ses prises de position environnementalistes, le couple royal a remanié certaines traditions pour les adapter à ses valeurs.

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Le patriarche orthodoxe de Jérusalem Théophile III (à gauche) et l’archevêque anglican de Jérusalem, le Dr Hosam Elias Naoum, avec l’urne qui contient l’huile qui servira à oindre le roi Charles III.

Des olives au lieu du cachalot

C’est l’un des moments les plus sacrés de la cérémonie : celui où le nouveau monarque, chef de l’Église anglicane, est oint par les célébrants. Traditionnellement, l’huile utilisée provenait d’intestins de cachalots et de glandes de civets. Cette fois-ci, elle ne contiendra aucun ingrédient animal. L’huile est extraite d’olives qui ont été pressées près de Bethléem et parfumée avec des huiles essentielles de sésame, de rose, de jasmin, de cannelle et d’autres plantes. La potion a été consacrée lors d’une cérémonie à Jérusalem au début de mars.

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FOURNIE PAR REUTERS

La « Coronation Quiche »

Une quiche au lieu du poulet

Lors du couronnement de 1953, Élisabeth II et ses invités avaient eu droit au « poulet Reine Elizabeth » (en français sur le menu d’origine, mais connu sous le nom de coronation chicken), un plat de poulet poché enrobé d’une sauce crémeuse au curry. Son fils et sa belle-fille ont préféré un plat beaucoup plus simple : une quiche épinards, cheddar, fèves (de type gourganes) et estragon. Un plat qui « s’adapte facilement à différents goûts et préférences », a écrit la famille royale sur Twitter, puisqu’il peut être végétarien, ou préparé avec lardons ou jambon. La famille royale invite les Britanniques à faire de cette quiche le plat principal des banquets de voisinage prévus au pays le 6 mai. « À manger chaud ou froid avec une salade verte et des pommes de terre nouvelles bouillies. »

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Le sceptre en ivoire qui sera remis à la reine Camilla

De l’ivoire… malgré tout

Mais ce ne sont pas tous les objets controversés qui peuvent être remplacés. Ainsi, Camilla aura à la main un sceptre en ivoire d’éléphant, matière dont la Grande-Bretagne a interdit presque totalement le commerce. Même le prince William a fait campagne contre le trafic illégal de parties d’animaux… Surplombé d’une sphère, d’une croix et d’une colombe, l’objet a été créé pour la reine consort Marie de Modène en 1685 et a été remis depuis à toutes les reines consorts.