C’était une décision attendue, et elle ne va pas dans le sens des ONG et des défenseurs des droits de la personne.

Lundi, la Haute Cour de Londres a finalement jugé « légal » le projet britannique d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni, estimant que le plan prévu par le gouvernement conservateur ne contrevenait pas à la Convention sur les réfugiés.

« La cour a conclu qu’il est légal pour le gouvernement britannique de mettre en place des dispositions pour envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda et que leur demande d’asile soit examinée au Rwanda plutôt qu’au Royaume-Uni », explique un résumé du jugement publié par la Haute Cour.

Cette décision est rendue alors que les traversées de la Manche par des migrants ne cessent de se multiplier, au point d’être devenues un enjeu politique de première importance dans le pays, qui tente de « reprendre le contrôle » de ses frontières depuis le Brexit.

En avril, le gouvernement de Boris Johnson avait conclu un accord de 140 millions de livres (232 millions CAN) avec Kigali pour expulser vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le sol britannique. Cette entente visait à dissuader les migrants de traverser la Manche entre la France et l’Angleterre à bord de petites embarcations.

Un premier vol prévu en juin avait toutefois été annulé à la onzième heure, après une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés était même intervenu dans le dossier, faisant valoir qu’une telle politique mènerait à de « graves risques de violations » de la Convention de l’ONU sur le statut des réfugiés.

Mais le nouveau gouvernement de Rishi Sunak semble déterminé à poursuivre cette politique controversée. Sa très droitière ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, en a même fait sa priorité, multipliant les déclarations parfois jugées racistes, comme son « rêve » de voir pour Noël « un avion décoller pour le Rwanda ».

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La ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Suella Braverman

Des commentaires populistes visant « à gagner l’appui du grand public au Royaume-Uni », où les tories sont présentement en chute libre, suggère Christina Clark-Kazak, experte en migrations à l’Université d’Ottawa.

Une détresse incommensurable

Depuis le début de l’année, environ 45 000 migrants sont ainsi arrivés sur les côtes anglaises, contre 28 526 en 2021. Et quatre migrants, dont un adolescent, ont perdu la vie en tentant la traversée le 14 décembre, un peu plus d’un an après la mort de 27 personnes.

La pression est indiscutablement énorme pour le Royaume-Uni, où le système d’asile est débordé. Mais cela ne justifie pas pour autant l’adoption d’un tel projet, estiment les associations humanitaires, qui voient ce plan d’expulsion comme « immoral » et « cruel ».

« Les réfugiés qui ont subi les horreurs de la guerre, de la torture et de la persécution seront désormais confrontés à l’immense traumatisme de l’expulsion et à un avenir inconnu. Cela leur causera une peur, une angoisse et une détresse incommensurables », a notamment déclaré l’organisme Care4Calais, l’une des organisations responsables du recours judiciaire auprès de la CEDH en juin.

Un avis partagé par le politologue François Gemenne, spécialiste des migrations à l’Université de Liège : « Si le Royaume-Uni procède à cela, je pense qu’il devrait logiquement se retirer de la Convention de Genève [sur le droit humanitaire] », car cette décision « remet violemment en cause le droit d’asile », tranche-t-il.

Un modèle qui pourrait se répéter

Cette décision pourrait en outre faire des petits, s’inquiète Christina Clark-Kazak. « Elle offre un modèle que d’autres pays pourraient être tentés de suivre », dit-elle. Le Danemark a déjà exprimé son désir d’appliquer une politique semblable, mais reste cependant soumis aux lois de l’Union européenne et de la Cour européenne de justice.

Mme Clark-Kazak doute cependant que le Royaume-Uni mène ces expulsions à grande échelle et croit que les opérations resteront limitées et exécutées à titre exemplaire.

« C’est très coûteux et très compliqué de mettre tout cela en application, dit-elle. À mon avis, il faut le voir comme une stratégie politique et non comme une stratégie vraiment pratique pour gérer l’immigration [illégale] au Royaume-Uni. Ils vont s’en servir pour passer leur message. »

Des organisations caritatives ont déclaré lundi qu’elles examineraient attentivement le jugement de la Haute Cour de Londres pour voir si elles interjetteraient appel.