La grogne sociale s’amplifie en Grande-Bretagne. Des grèves à répétition sont prévues pendant tout le mois de décembre. Du jamais vu depuis le fameux Hiver du mécontentement de 1979.

De quelles grèves parle-t-on ?

Rien ne va plus au Royaume-Uni. Après la crise politique qui s’est soldée par un changement de premier ministre en octobre, voici que la grogne sociale s’amplifie au risque de mettre le pays à l’arrêt.

Des dizaines de grèves sont prévues au cours du mois de décembre et au début de l’an prochain dans les secteurs public et privé : infirmières (15 et 20 décembre), ambulanciers (21 et 28 décembre), travailleurs du rail (dates à confirmer), employés des postes (9, 11, 14, 15, 23, 24 décembre), conducteurs d’autobus (9, 10, 16, 17 décembre), bagagistes d’aéroport (16, 17, 18 décembre), policiers des frontières, enseignants écossais, ouvriers du pétrole et même examinateurs d’auto-écoles (13 décembre-16 janvier) devraient se mobiliser pour faire entendre leurs revendications. Selon la BBC, cela pourrait équivaloir à 1,5 million de travailleurs au cours des prochains mois, seulement dans le secteur public.

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Employés de la Royal Mail manifestant le 24 novembre dernier à Londres

« Ce qui se passe est très important. Les gens sont très agités. Imaginez, c’est la première fois en 140 ans que les infirmières font officiellement la grève. C’est quand même frappant », souligne l’historien Keith Laybourn, professeur émérite à l’Université de Huddersfield.

Pourquoi cette grogne ?

Parce que la situation est devenue intenable pour les travailleurs britanniques. Les contrariétés accumulées depuis des années (gel de salaires, coupes dans les services publics) ont été accentuées par l’inflation qui frappe le pays (11,1 %), l’une des plus élevées en Europe.

Les syndicats réclament globalement de meilleures conditions de travail et des salaires adaptés à la hausse dramatique du coût de la vie, qui touche plus particulièrement l’énergie (gaz, électricité) et le prix des aliments. On craint aussi pour la sécurité d’emploi (contrôleurs dans les trains), l’obligation de travailler le dimanche (Royal Mail) ou les heures de travail abusives en raison du manque de personnel (infirmières).

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Nadhim Zahawi, président du Parti conservateur

Rien pour aider : le gouvernement semble attiser la colère. Dimanche, le président du Parti conservateur, Nadhim Zahawi, n’a pas exclu de faire appel à l’armée pour remplacer les grévistes aux frontières ou pour conduire les ambulances. Il a aussi affirmé que les travailleurs qui débraient avant Noël font le jeu de Vladimir Poutine. « Ils devraient repenser et réfléchir à cela parce que c’est exactement ce que Poutine veut voir. Ne divisons pas, rassemblons-nous », a-t-il déclaré. Des commentaires qui ont forcément agacé les syndicats et les opposants politiques.

« Je crois que le gouvernement peine à engager et à aller au-delà du conflit, observe Andreas Bieler, professeur d’économie politique à l’Université de Nottingham. Un gouvernement en contrôle de la situation devrait être capable de tenir un rôle de soutien. Non seulement ils ne le font pas, mais ils mettent aussi de l’huile sur le feu. Tout cela est contreproductif. »

Un rappel de 1979

Cette « convergence des luttes » est la plus importante du genre au Royaume-Uni depuis 2011, quand plusieurs syndicats s’étaient mobilisés autour de la question des retraites. Mais il faut plutôt la comparer au fameux « Hiver du mécontentement », qui avait mis la Grande-Bretagne sens dessus dessous en 1978-1979, avec des grèves impliquant des ouvriers d’usine, des fossoyeurs, des employés d’hôpital, des fonctionnaires et des éboueurs, laissant dans les mémoires les images marquantes de montagnes d’ordures jonchant les rues de Londres.

Keith Laybourn rappelle toutefois que le pouvoir du mouvement syndical britannique a largement diminué depuis 40 ans, parce que ses membres sont deux fois moins nombreux (6,6 millions aujourd’hui contre 13 millions à l’époque) et qu’il est devenu très compliqué de se mobiliser en raison de lois particulièrement contraignantes.

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Membres du syndicat des travailleurs des chemins de fer, des transports maritimes et des transports manifestant à Londres le 2 novembre dernier

« Pour déclencher une grève dans ce pays, il faut être très persistant », résume-t-il. D’où le sérieux du mouvement actuel.

L’Hiver du mécontentement avait précipité la chute du gouvernement travailliste et marqué l’entrée en scène de Margaret Thatcher.

Un autre coup dur pour les conservateurs

Cette crise sociale est une plaie supplémentaire pour le Parti conservateur, déjà affaibli par le Brexit, la COVID-19, les scandales liés à Boris Johnson, l’inflation galopante, les déconvenues de Liz Truss et l’usure naturelle après 12 années au pouvoir.

Le gouvernement de Rishi Sunak fait le pari que la population finira par tenir les syndicats responsables du chaos engendré pendant les Fêtes. Mais les sondages ne vont pas nécessairement en ce sens. Une enquête du quotidien The Mirror, publiée il y a une semaine, révèle que 54 % de Britanniques appuient la grève des infirmières, contre seulement 23 % qui s’y opposent. Un sondage YouGov publié mardi indique en revanche que seulement 37 % des Britanniques approuvent la grève des cheminots en cette période cruciale de l’année.

Des ententes isolées pourraient survenir avant Noël, souligne Andreas Bieler, en notant que « chaque conflit a son rythme ». Mais il est plus probable que ce nouvel hiver de mécontentement n’ait pas dit son dernier mot.

« C’est loin d’être terminé », conclut-il.