Avec ses autobus de campagne, ses affiches de candidats et ses visites « improvisées » calculées à la minute, la campagne électorale au Danemark ressemble à celle du Canada sur plusieurs points. À une exception près : la place prédominante des thématiques de l’extrême droite dans le débat politique.

(Ishøj, Danemark) Dans un centre commercial de la banlieue éloignée et multiculturelle de Copenhague, Inger Støjberg est venue faire un bain de foule en ce 23 octobre.

Le choix du lieu est audacieux pour la candidate d’extrême droite bien connue pour ses positions anti-immigration. Mais l’heure n’est pas aux grands discours polémiques. Aujourd’hui, la charismatique candidate fait ce qu’elle sait faire de mieux, de la politique de proximité.

Une dame âgée en fauteuil roulant l’attend d’ailleurs au milieu du grand hall. En pleurs, la dame raconte comment sa situation économique est difficile, ce qui permet à la cheffe des « démocrates danois » (Danmarksdemokraterne) de rappeler qu’elle veut aussi mieux porter la voix des aînés au Parlement si elle est élue.

Pendant ce temps, son équipe en profite pour offrir aux curieux des étuis pour cellulaire floqués du drapeau danois. Au loin, le non-verbal des autres passants laisse transparaître un dégoût qui se traduira certainement dans l’urne.

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Inger Støjberg, cheffe du Danmarksdemokraterne, installant une pancarte électorale à Aalborg, le 8 octobre

De multiples fois ministre avec la Venstre (Parti libéral danois, droite), la politicienne de 49 ans a de tout temps adopté la ligne dure contre l’immigration. Comme ministre de l’Immigration et de l’Intégration (2015-2019), elle a d’ailleurs fait passer une loi controversée autorisant la confiscation de l’argent et des bijoux transportés par les personnes réfugiées pour financer leur arrivée au Danemark.

Puis, en 2021, elle a été condamnée à deux mois de prison pour avoir séparé illégalement des couples de demandeurs d’asile dont les épouses étaient mineures, des différences d’âge pour la plupart minimes, pendant l’examen de leur dossier.

Désavouée par la Venstre et expulsée de son siège de députée par le Parlement après cet évènement, elle a répliqué en fondant, en juin dernier, le parti Danmarksdemokraterne, jugeant que personne n’est assez sévère sur l’immigration.

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La première ministre sortante du Danemark, la sociale-démocrate Mette Frederiksen, prenant un bain de foule le 8 octobre

Nouvelle vague d’extrême droite en Europe

Les plus récents sondages placent la formation politique au 5e rang sur 14 partis dans les intentions de vote avec 8 %, devancée par les sociaux-démocrates (27 %) de la première ministre sortante Mette Frederiksen, son ancien parti la Venstre (13 %), les modérés (9 %) et les socialistes (9 %).

Un tel score peut sembler faible, mais avec 8 %, il s’agirait d’une des meilleures élections pour l’extrême droite au Danemark.

Et si les sondages disent vrai, les trois partis les plus à droite du spectre politique pourraient conjointement récolter près de 19 % des votes aux législatives du 1er novembre.

Des chiffres importants dans un contexte de coalition politique.

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Pancartes électorales à Copenhague

« On a véritablement une extrême droite qui assume [maintenant] sa volonté d’exercer le pouvoir. Même si, parce que généralement c’est le cas, ça doit passer par des compromis, c’est-à-dire la formation de gouvernements de coalition », explique Benjamin Biard, politologue, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) et professeur invité à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve.

C’est d’ailleurs ce qu’on observe au Danemark avec le repositionnement d’Inger Støjberg, mais également ailleurs en Europe comme l’ont démontré les récentes élections en Italie et en Suède, ou avec les regains majeurs dans la dernière décennie des groupes d’extrême droite en France, en Allemagne, en Autriche, en Espagne ou au Portugal.

Selon Nicole Boerr, professeure associée en sociologie à l’Université de Copenhague, une « tempête parfaite » permet à ces partis de proliférer : une grande partie de la population fait face à une « détresse économique » à la suite de la COVID-19, et en raison de l’inflation, il y a une peur concernant l’« immigration de masse » en Europe depuis 2015. La gauche, faible politiquement, ne parvient à rassurer ou à convaincre sur aucun de ces points.

Mais lorsqu’on parle d’une nouvelle vague, il faut aussi comprendre qu’une division est également en cours à droite des échiquiers politiques européens.

On est à un moment où certains voudraient aller plus loin dans la normalisation et dans la dédiabolisation, et où d’autres préfèrent un retour au discours plutôt traditionnel et envisagent un maintien d’une posture plus radicale, quitte à rester dans l’opposition pour quelques années.

Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques

Cela semble être le pari d’Inger Støjberg avec son nouveau parti, bien qu’elle pourrait vite se retrouver en position de pouvoir dans une coalition de droite si son parti maintient son score.

Par contre, il faudra bien d’autres visites de centres commerciaux. Les « démocrates danois » sont passés de 11 % à 8 % dans les sondages depuis le début de la campagne.

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