(Moscou) Le monde entre dans sa décennie « la plus dangereuse » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a prévenu jeudi le président russe Vladimir Poutine, estimant que le conflit en Ukraine était l’illustration de la lutte contre la domination occidentale.

« Nous sommes à un moment historique. Nous sommes sans doute face à la décennie la plus dangereuse, la plus importante, la plus imprévisible » depuis 1945, a déclaré le dirigeant russe, devant le forum de discussion de Valdaï à Moscou.

« L’Occident, sans unité claire, n’est pas en mesure de diriger le monde, mais il essaye désespérément, et la plupart des peuples du monde ne peuvent l’accepter », a-t-il affirmé, jugeant dès lors la planète en « situation révolutionnaire ».

Selon lui, l’assaut contre l’Ukraine s’inscrit dans ce « changement tectonique de tout l’ordre mondial ».

« La Russie ne supportera jamais le diktat de l’Occident agressif, néocolonial », a-t-il ajouté, évoquant des changements « inévitables » dans « l’ordre mondial ».

Peu avant, il avait décrit sa confrontation avec les Occidentaux, notamment dans le contexte de l’offensive contre l’Ukraine, comme un combat pour la survie même de la Russie.

« La Russie ne défie pas l’Occident, la Russie défend juste son droit à exister », a-t-il encore affirmé, accusant les Américains et les autres Occidentaux de vouloir « détruire, effacer (la Russie) de la carte » dans un nouveau réquisitoire contre ses rivaux géopolitiques qui soutiennent et arment l’Ukraine face aux soldats russes.

« Bombe sale » : enquête de l’AIEA

Concernant les accusations russes selon lesquelles Kyiv est en train de mettre au point une « bombe sale », le maître du Kremlin a demandé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de se rendre « au plus vite » en Ukraine.  

« L’AIEA veut venir […]. Nous sommes pour, au plus vite et de la manière la plus large possible, car nous savons que les autorités à Kyiv font tout pour brouiller les traces de ces préparatifs », a-t-il affirmé.  

« Nous savons même où cela se fait approximativement (en Ukraine) », a ajouté le dirigeant russe.  

Selon lui, Kyiv veut utiliser une telle arme radioactive « pour pouvoir dire plus tard que c’était la Russie qui avait effectué une frappe nucléaire », a encore dit M. Poutine, soulignant qu’il avait lui-même demandé à son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, d’« en informer » ses homologues occidentaux.

Ce dernier s’est en effet entretenu ces derniers jours avec les ministres américain, chinois, français, turc et britannique de la Défense, des échanges d’une intensité inédite — sur quelques heures — depuis le début de l’offensive russe en Ukraine le 24 février.

L’Ukraine et ses alliés occidentaux ont tous depuis largement condamné les allégations « à l’évidence fausses » de la Russie.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a de son côté souligné dans un communiqué jeudi soir qu’elle allait visiter « cette semaine » deux sites ukrainiens à la demande de Kyiv « pour détecter tout détournement de matière nucléaire ».

Vladimir Poutine a en outre relativisé ses propos passés quant à la possibilité d’utiliser l’arme atomique, estimant qu’il n’avait fait que répondre aux menaces de ses adversaires.

« Nous n’avons jamais parlé de la possibilité d’utiliser des armes nucléaires. Nous avons seulement fait des allusions en réponse aux déclarations d’autres pays », a assuré le président russe.

Pour lui, l’Ukraine et les Occidentaux affirment que Moscou joue l’escalade nucléaire afin d’« influencer les pays neutres pour leur dire : “Regardez la Russie ! Ne coopérez pas avec elle ! ” ».

« Le seul pays au monde qui a utilisé des armes nucléaires contre un État non nucléaire, ce sont les États-Unis », a accusé M. Poutine.

« Armes biologiques »

Évoquant la situation économique de son pays, il a jugé que « le pic des difficultés » économiques était « passé ». Selon lui, « l’économie russe s’est adaptée […] Ce qui se passe est en fin de compte bénéfique pour la Russie et son avenir […] y compris dans la sphère économique ».

Dans la soirée, le ministère russe des Affaires étrangères a par ailleurs annoncé que la Russie avait demandé au Conseil de sécurité de l’ONU d’ouvrir une enquête internationale sur l’implication de Washington dans la mise au point présumée d’armes biologiques en Ukraine.  

« La Russie n’a pas eu d’autre choix que d’adresser une plainte au président du Conseil de sécurité de l’ONU pour demander d’ouvrir une enquête internationale » sur des « activités militaires biologiques des États-Unis sur le territoire ukrainien », a-t-il affirmé.  

Peu après le début de son offensive en Ukraine, la Russie a accusé Washington d’avoir financé un programme d’armes biologiques en Ukraine.  

Les États-Unis comme Kyiv ont démenti l’existence de laboratoires destinés à produire des armes biologiques en Ukraine.

Jeudi soir, un haut-fonctionnaire onusien a pour sa part déclaré que les Nations unies n’étaient « pas au courant » d’un programme d’armes biologiques dans ce pays.  

« Nous sommes au courant de la plainte officielle de la Russie », a déclaré Adedeji Ebo, haut représentant adjoint chargé des questions de désarmement devant le Conseil de sécurité.

« Comme la Haute représentante Izumi Nakamitsu en a informé le Conseil en mars et en mai. L’ONU n’est pas au courant d’un tel programme d’armes biologiques. C’est toujours le cas aujourd’hui », a-t-il ajouté, notant que l’ONU n’avait pas de mandat ni de « capacités techniques » pour enquêter.

Les États-Unis ont quant à eux rejeté jeudi devant le Conseil de sécurité des Nations unies les accusations de la Russie, les qualifiant de « pure invention ».

« L’Ukraine n’a pas de programme d’armes biologiques […] Les États-Unis n’ont pas de programme d’armes biologiques », a martelé leur représentante.