(Izioum, Ukraine) Trois semaines après sa libération, la ville d’Izioum, dans la région de Kharkiv, vit dans l’attente. Sans gaz ni électricité, les habitants redoutent l’hiver qui s’annonce.

En ce mardi matin pluvieux, la route boueuse qui mène au cimetière Shakespeare est vide. Depuis quelques jours, les hordes de journalistes ont déserté la ville. Seul un militaire barre l’entrée de la pinède jouxtant le cimetière où des centaines de cadavres ont été découverts. « Vous ne pouvez plus entrer ici, il n’y a plus rien à voir. » L’exhumation des corps est terminée.

Au total, 471 cadavres d’Ukrainiens ont été découverts, d’après la mairie d’Izioum, certains portant des traces de torture. Plus de 1000 Ukrainiens auraient perdu la vie dans cette ville pendant les mois d’occupation russe. À présent, c’est un long travail qui commence : autopsies, prélèvements d’ADN, identification et restitution des corps aux familles endeuillées. Au loin, des mines antipersonnel déposées par centaines par les forces russes aux quatre coins de la ville continuent d’exploser à intervalles réguliers. À Izioum, il est encore trop tôt pour dire que la vie a repris son cours.

  • Des dizaines de fosses — désormais vides après l’exhumation des corps – ont été découvertes dans une forêt après la libération d’Izioum.

    PHOTO YASUYOSHI CHIBA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des dizaines de fosses — désormais vides après l’exhumation des corps – ont été découvertes dans une forêt après la libération d’Izioum.

  • Une équipe de démineurs cherche des mines antipersonnel qui auraient été posées dans ce champ près d’Izioum, samedi.

    PHOTO JUAN BARRETO, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Une équipe de démineurs cherche des mines antipersonnel qui auraient été posées dans ce champ près d’Izioum, samedi.

  • Des habitants d’Izioum chargent leur téléphone devant un centre d’aide humanitaire où le WiFi est offert et où l’on distribue de la nourriture, jeudi.

    PHOTO JUAN BARRETO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des habitants d’Izioum chargent leur téléphone devant un centre d’aide humanitaire où le WiFi est offert et où l’on distribue de la nourriture, jeudi.

  • Un drapeau ukrainien flotte devant une maison détruite, à Izioum.

    PHOTO JUAN BARRETO, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Un drapeau ukrainien flotte devant une maison détruite, à Izioum.

  • Des gens discutent devant des commerces d’Izioum endommagés par les combats, mercredi.

    PHOTO SERGEY BOBOK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des gens discutent devant des commerces d’Izioum endommagés par les combats, mercredi.

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Sur la place principale de la ville, dont la totalité des bâtiments a été détruite, une trentaine de personnes s’abritent sous un arbre en attendant l’arrivée de l’aide humanitaire. Personne ne sait quand elle arrivera. Hormis une bande d’adolescents croisée dans ce qu’il reste du centre-ville, les jeunes semblent avoir déserté la ville.

Irina et Svetlana, la cinquantaine, patientent depuis plusieurs heures. « Il n’y a plus d’électricité, plus de gaz. On voudrait au moins des bougies. Qui va s’occuper de nous ? », s’inquiète Svetlana, une femme blonde aux yeux bleus et aux traits tirés. Les banques n’ont pas rouvert leurs portes, elle ne peut pas retirer sa pension de retraite qui n’est plus versée depuis le début de l’occupation russe, il y a sept mois.

Quant à son stock de bois, il sera insuffisant pour passer l’hiver. « On a demandé à l’administration l’autorisation d’aller en chercher en forêt. Mais on nous a dit que c’est trop risqué à cause des mines », regrette son amie Irina, dont la voisine a été tuée dans le bombardement de sa maison.

Depuis la libération d’Izioum, il y a trois semaines, le soulagement des habitants a été de courte durée. Après des mois passés dans l’humidité des souterrains, coupée du monde extérieur, soumise au bon vouloir de l’occupant russe, la population doit continuer d’affronter le manque et l’incertitude. La libération était pourtant porteuse d’espoir pour Irina : « Un voisin est venu nous dire que c’était fini, mais je n’arrivais pas à y croire. Puis on a entendu parler ukrainien, on a vu passer des soldats avec leur bandeau bleu au bras et on a su que c’était fini », se souvient-elle avec émotion. « Mais nous avons toujours peur que les Russes reviennent. On vit au jour le jour. Il nous faut la paix maintenant. »

« Où sont passées les belles promesses ? »

Plus loin, dans un quartier résidentiel aux façades démolies, deux femmes font bouillir de l’eau dans un réchaud improvisé sous le regard d’un chat famélique, bientôt congédié à coups de pied.

Les deux babouchkas ne décolèrent pas depuis la libération. « Pas de gaz, pas d’électricité, où sont passées les belles promesses de la mairie ? », fait mine de s’interroger Katarina, une femme de 71 ans, en chargeant le foyer avec quelques brindilles. « Si rien n’est fait, on devra encore passer l’hiver dans la cave. »

La première fois qu’elle est sortie de ce réduit de fortune qu’elle partageait avec ses voisins, et où quelques matelas sont toujours installés au cas où, elle n’a pas reconnu son jardin. « C’était à la fin du mois de mars. Il y avait de la fumée et du feu partout, notre toit et celui de l’immeuble à côté étaient détruits, les murs criblés d’impacts », ajoute Katarina, qui dit avoir perdu 22 kilos pendant l’occupation.

Paradoxalement, elle semble en vouloir moins à l’armée russe qu’à la mairie d’Izioum. D’après elle et les quelques voisins qui s’attroupent dans le jardin, les Russes qui occupaient le quartier étaient polis et respectueux.

« Au moins, quand les Russes étaient là, on avait du pain régulièrement et il était partagé équitablement entre les gens, pas comme avec la distribution humanitaire ukrainienne », avance l’un d’eux. « Il paraît qu’il y a même un bus qui a été mis en place par l’armée russe », ajoute une voisine, qui concède ne jamais l’avoir vu de ses propres yeux.

À la mairie, on assure que la situation devrait s’arranger dans les prochaines semaines. « D’ici 10 jours, on espère que l’électricité sera revenue ainsi que le gaz et la connexion internet. Ensuite, les banques devraient pouvoir rouvrir. La chose la plus importante pour tout le monde maintenant, c’est d’anticiper l’hiver », explique le premier adjoint au maire, un trentenaire en survêtement. Suspendu à son téléphone, il semble ployer sous les requêtes des habitants d’Izioum.

Croisé par hasard devant ce qu’il reste de sa maison, bombardée dès le mois de mars, l’ancien maire de la ville jusqu’en 2006, Bogdan Sydor, lève les yeux au ciel : « J’entends toutes ces critiques depuis la libération. Les gens se plaignent de ne pas avoir été évacués à temps, mais la réalité, c’est qu’ils ne voulaient pas partir. Moi non plus, d’ailleurs », explique l’ancien édile de 79 ans, casquette bleue vissée sur la tête, avant de faire passer une bouteille d’eau-de-vie à la cerise dissimulée dans une bouteille de soda à une bande de soldats qui inspectent les maisons aux alentours.

Il habite depuis 60 ans à Izioum, raconte l’époque où la ville abritait la plus importante usine d’appareils optiques de l’Union soviétique : 8000 employés, et 400 filiales à travers tout l’empire. L’usine n’était plus que l’ombre d’elle-même depuis la chute de l’URSS, elle a finalement été bombardée au début de la guerre, après avoir survécu à l’invasion allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

Deux maisons plus loin, dans sa rue, les Russes avaient établi un de leurs quartiers généraux dans une maison réquisitionnée.

Au début de l’occupation, ils sont venus me demander où se cachaient les nazis. Cette bande d’imbéciles ne savait même pas me décrire ce qu’est un nazi.

Bogdan Sydor, habitant d’Izioum

« Ils m’ont volé mes affaires et ma machine à laver. C’est la première chose que j’ai récupérée quand ils sont partis », raconte Bogdan Sydor, le ton léger.

En fin de journée, une fourgonnette s’arrête enfin sur la place principale de la ville. Une vingtaine d’habitants se bousculent pour récupérer les quelques vêtements d’hiver distribués par une organisation de bénévoles ukrainiens. Plus loin, des militaires patrouillent et vérifient les passeports des passants. « Apparemment, il y aurait encore des soldats russes qui n’ont pas réussi à évacuer et qui se cachent à Izioum », glisse un habitant.