Depuis qu’il avait entendu Vladimir Poutine annoncer la mobilisation de 300 000 hommes en Russie, mercredi dernier, Maxim (prénom fictif) n’avait qu’un seul objectif : partir.

L’homme de 38 ans s’est débarrassé de sa voiture le jour même, la cédant pour la moitié de sa valeur. Il s’est ensuite acheté un des derniers billets disponibles pour quitter le pays, billet qu’il a payé 150 000 roubles, soit l’équivalent de plus de 3500 $.

À l’aéroport, son cœur s’est emballé quand des agents ont pris tous les passeports des hommes. « Ils m’ont demandé pourquoi je voulais partir, si j’avais été dans l’armée, pourquoi je n’avais pas été dans l’armée. J’étais terrifié. »

Au bout de 15 minutes, ils ont appelé son nom et lui ont dit qu’il pouvait passer.

« Jamais je n’aurais pensé devoir quitter la Russie si vite », dit Maxim, en entrevue avec La Presse depuis Istanbul, en Turquie. Il demande qu’on taise son vrai nom par crainte de répercussions contre ses proches restés en Russie.

Maxim dit que sa femme doit le rejoindre dans quelques jours, et que le couple a dû abandonner son chat. « Je ne sais pas ce que nous ferons, je n’ai pas de plan », dit-il.

Au moins 200 000 personnes ont quitté la Russie depuis l’annonce de la mobilisation partielle de 300 000 hommes annoncée mercredi dernier par Vladimir Poutine, a rapporté le New York Times.

Dans certains points chauds, comme la frontière avec la Géorgie, quelque 10 000 Russes par jour traversent la frontière, selon Reuters. La Géorgie demande désormais aux gens de traverser la frontière à pied.

PHOTO VANO SHLAMOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des militantes se tiennent à la frontière russo-géorgienne avec une bannière aux couleurs de l’Ukraine où on peut lire « Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros ! ».

Les services de sécurité russes ont dit être à la frontière pour s’assurer que des hommes conscrits ne cherchent pas à fuir. Afin de limiter les départs, le gouvernement russe a annoncé mercredi qu’il ne délivrerait plus de passeports à ceux qui sont mobilisés par l’armée.

Dans les aéroports, les départs vers les pays acceptant les ressortissants russes se vendent à prix d’or.

Konstantin, le Russe de 46 ans derrière la chaîne YouTube Inside Russia, a raconté mardi en direct son périple à ses 169 000 abonnés.

L’homme de 46 ans, directeur dans une grande entreprise et père de cinq enfants, a expliqué s’être acheté l’un des derniers billets pour l’Ouzbékistan pour une somme équivalant à 5000 $US.

À l’aéroport, je n’ai jamais été questionné comme ça. C’était comme si l’agent qui m’interrogeait avait les yeux d’un serpent. J’essayais de garder mon sang-froid. Finalement, il m’a laissé passer.

Konstantin

S’il n’avait pas eu des milliers de dollars à sa disposition, il n’aurait jamais pu sauver sa peau, a-t-il commenté, ajoutant que sa famille était en sécurité en Russie, et qu’il devait maintenant refaire sa vie.

« Je repars à zéro. À 46 ans, c’est stressant. »

Un réservoir de 25 millions de personnes

Yakov M. Rabkin, professeur émérite au département d’histoire de l’Université de Montréal, note que la mobilisation partielle en Russie marque un virage par rapport à l’« opération spéciale » lancée par Poutine en février 2022.

« Cela dit, le réservoir total de mobilisation en Russie est de 25 millions de personnes. Donc même s’il y a 250 000 personnes qui ont quitté la Russie, c’est important, mais pas tellement important. C’est 1 %. »

M. Rabkin note que les Russes qui peuvent se permettre de partir sont ceux qui ont de l’argent et des ressources. « Et donc il y aura probablement moins d’hommes mobilisés dans les grandes villes, mais plus dans les régions rurales. »

Dans les médias russes, une des opinions véhiculées est que depuis la fin de la guerre froide, l’Occident a perdu le sentiment de peur envers la Russie, dit Yakov M. Rabkin.

« J’ai entendu deux commentaires de deux personnes différentes qui disaient que ce qui est absent des cercles gouvernementaux à Washington est la peur d’un conflit nucléaire. Je crois qu’il y a un sentiment d’impunité qui est tellement répandu aux États-Unis depuis 30 ans qu’on a perdu la conscience du danger, pas pour l’Ukraine, pour les États-Unis. »

En entrevue, Ivan Sisoïev, un jeune Russe qui a quitté la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine en février dernier, dit avoir peur pour ses amis qui n’ont pas pu sortir du pays.

PHOTO FOURNIE PAR IVAN SISOÏEV

Ivan Sisoïev

« Cette mobilisation est une tragédie. Ça ne finit jamais : nos grands-pères ont pourri au goulag, nos pères ont brûlé dans un char près de Kaboul, et maintenant, nous sommes jetés dans une guerre cruelle et inutile qui n’a même pas été déclarée », dit celui qui se trouve en Géorgie.

Quant à Maxim, qui a débarqué en Turquie, il cherche des moyens de demander l’asile politique. Il aimerait un jour pouvoir rentrer en Russie.

« Mais ce sera probablement encore long, parce que la propagande de Poutine n’est pas sur le point de prendre fin », dit-il.

Avec la collaboration de l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 100 000
    Nombre de Russes qui sont entrés au Kazakhstan depuis l’annonce de la mobilisation partielle
    Source : gouvernement du Kazakhstan
    53 000
    Nombre de Russes qui sont entrés en Géorgie depuis l’annonce de la mobilisation partielle
    Source : gouvernement de la Géorgie
  • 66 000
    Nombre de Russes qui sont entrés sur le territoire de l’Union européenne dans la semaine qui se terminait dimanche, soit une hausse de 30 % par rapport à la semaine précédente
    agence Frontex
    30 000
    Nombre de Russes entrés sur le territoire de la Finlande de samedi à mardi inclusivement
    the new york times