(Youjnooukraïnsk) Dans un terrain vague jonché d’herbes folles, un cratère de plusieurs mètres de profondeur témoigne d’un bombardement récent sur le site de la centrale de Pivdennooukraïnsk (Sud), nouvel indice de la menace nucléaire planant sur l’Ukraine.

Des petits bouts de métal gris, similaires aux morceaux de roquettes et missiles jonchant les innombrables sites ukrainiens ravagés par la guerre, parsèment la terre grasse creusée par l’impact.  

A quelques dizaines de mètres du cratère, un bâtiment bas, où l’AFP n’a pu entrer lors d’une visite de presse organisée par l’opérateur ukrainien Energoatom, semble avoir eu ses portes et fenêtres arrachées.

« C’est vers là qu’est allé le souffle de l’explosion », affirme Ivan Gebet, le responsable de la sécurité de la centrale.

D’après ses explications, le projectile s’est écrasé en direction de l’installation nucléaire. Une boussole montre qu’il serait parti du Sud-Est, soit des territoires sous contrôle russe.

De l’autre côté du trou, un autre bâtiment, moins endommagé, a également perdu la plupart de ses vitres.

L’impact s’est produit vers 0 h 20 lundi, quelques minutes après qu’une alerte aérienne eut résonné dans tous les téléphones de la ville, jusqu’alors préservée des bombardements.

Les habitants de Youjnooukraïnsk interrogés par l’AFP racontent un grondement plus ou moins fort, selon la proximité de leur logement avec la centrale, des ampoules qui clignotaient chez eux, signe que l’alimentation électrique était perturbée, ou encore une grande lumière dans le ciel.

« chantage nucléaire »

Tous ont ressenti la même angoisse : que le site nucléaire, qui fait vivre les 42 000 âmes de la ville, dont 6000 y travaillent directement, ait été touché. Une répétition, cette fois-ci provoquée par la guerre, de l’accident de Tchernobyl, pire catastrophe nucléaire de l’Histoire qui a eu lieu dans le nord de l’Ukraine en 1986 et marque encore tous les esprits dans ce pays.

Moscou renforce son « chantage nucléaire » contre Kyiv avec ce bombardement, tempête Igor Polovitch, le directeur de la centrale de Pivdennooukraïnsk, dont les trois réacteurs bâtis dans les années 1980 fournissent désormais 15 % de l’énergie du pays.

Alors que le site d’une autre installation atomique ukrainienne, celle de Zaporijjia (sud), a déjà été bombardé à plusieurs reprises ces derniers mois, Russie et Ukraine se rejetant la responsabilité des frappes, les troupes russes ont entamé « la deuxième phase » de leur intimidation nucléaire, accuse-t-il.

L’armée ukrainienne, dans une publication sur Facebook lundi, écarte toute idée d’un projectile tombé accidentellement. Le missile, « vraisemblablement un Iskander, visait l’installation », insiste-t-elle.

Contacté par l’AFP, le spécialiste des questions de défense russe Pierre Grasser, chercheur associé au laboratoire Sirice-Sorbonne, est enclin à valider cette thèse.  

« Le missile balistique du système Iskander est assez précis, de l’ordre de 20 mètres, dit-il. Il est à envisager dès lors que ce n’était pas la centrale qui était visée, mais des réseaux de câblages, de transformateurs, ou bien des systèmes antiaériens, qu’Ukrainiens et Russes placent souvent à proximité des sites stratégiques ».

« Effrayant »

Pivdennooukraïnsk est le troisième site nucléaire à se retrouver entraîné dans la guerre lancée par la Russie en février, et cela malgré les multiples appels de la communauté internationale à épargner de telles infrastructures afin de ne pas provoquer une catastrophe.

Outre la centrale de Zaporijjia, la plus grande d’Europe, désormais sous contrôle russe, les forces de Moscou ont aussi occupé plusieurs semaines durant la centrale de Tchernobyl. Fermée depuis 2000, elle se trouve dans une zone hautement contaminée par les déchets radioactifs.

Pivdennooukraïnsk elle-même n’est pas passée loin de la catastrophe. Au début de la guerre, alors que les Russes échouaient à percer le verrou de Mykolaïv, qui leur aurait permis de rejoindre la grande ville portuaire d’Odessa, ils étaient parvenus à Voznessensk, à 25 km de l’installation nucléaire.

Dans cette petite ville, plusieurs bâtiments troués par les obus et le pont central, détruit par l’armée ukrainienne pour entraver leur avancée, témoignent de l’âpreté des combats.

« Ils voulaient prendre Odessa, ils voulaient prendre notre centrale. Mais nos gars les en ont empêchés », se souvient avec fierté Natalia Stoikova, la cheffe du département international de Pivdennooukraïnsk, avant de s’avouer « choquée » par le récent bombardement.

« Le danger est vraiment effrayant », souffle-t-elle. « Si quelque chose arrivait à (Pivdennooukraïnsk) ou à Zaporijjia, l’accident de Tchernobyl paraîtrait presque faible. »