(Édimbourg) Pendant que des Écossais témoignent en masse, avec ferveur, de leur attachement à la reine Élisabeth II, dont le corps repose en chapelle ardente à Édimbourg depuis lundi, d’autres se posent des questions : la mort de la monarque donnera-t-elle de l’élan au mouvement indépendantiste écossais ?

« La reine faisait partie des éléments qui aidaient à garder le pays uni. Dans un monde où il y a tant de changements politiques, elle était une force positive et immuable pour les gens qui partageaient les mêmes valeurs qu’elle », a témoigné Brian Watts, rencontré dans les rues d’Édimbourg, peu après la procession funéraire au cours de laquelle la dépouille royale a été conduite à la cathédrale Saint-Gilles.

« Maintenant qu’elle n’est plus là, on risque de vivre une période d’incertitude sur le plan politique qui va profiter aux indépendantistes. »

Le guide touristique de 59 ans, vêtu du traditionnel kilt écossais, n’est pas lui-même un fervent monarchiste. Mais il rappelle que si les nationalistes « avaient remporté le référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse, [leur plan] était de garder la reine comme chef d’État ».

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Brian Watts, guide touristique écossais de 59 ans

Beaucoup d’Écossais sont indépendantistes, mais sont tout de même attachés à la monarchie.

Brian Watts, guide touristique écossais de 59 ans

Dimanche, au moment où a été lue à Édimbourg la déclaration proclamant officiellement Charles III comme roi, un évènement fort couru, quelques personnes dans l’assistance ont lancé des huées. Une femme de 22 ans, portant une affiche où l’on pouvait lire « Fuck l’impérialisme, abolissons la monarchie », a été arrêtée pour avoir troublé l’ordre public. Des drapeaux de l’Écosse ont été vus à certaines fenêtres sur le parcours du cortège funèbre.

En 2021, selon un sondage du groupe de réflexion British Futures, 45 % des Écossais souhaitaient conserver la monarchie, alors que 36 % étaient d’avis que la fin du règne d’Élisabeth II était le bon moment pour établir une république. Dans l’ensemble du Royaume-Uni, l’attachement à la monarchie atteignait 60 %.

Des liens mis à mal

Le désormais roi Charles III, moins populaire que sa mère, saura-t-il incarner cette figure garante de l’unité de la nation ? Certains commentateurs politiques et experts en doutent, estimant que ce moment de deuil pourrait distendre encore des liens déjà mis à mal.

« Le passage de la Couronne est un moment de vulnérabilité, peut-être même de fragilité », a jugé, dans le quotidien écossais The Herald, Adam Tomkins, juriste et professeur de droit constitutionnel à l’Université de Glasgow.

Au pouvoir depuis 2007 en Écosse, le Parti indépendantiste écossais (SNP) a connu un regain de vigueur après le Brexit, l’Écosse ayant voté à 62 % pour rester au sein de l’Union européenne.

Malgré le refus répété du gouvernement britannique, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a annoncé fin juin vouloir organiser un nouveau référendum sur l’indépendance le 19 octobre 2023. Une décision qui sera examinée les 11 et 12 octobre par la Cour suprême britannique.

Les Écossais avaient déjà été consultés sur le sujet en 2014 et avaient voté à 55 % pour rester au sein du Royaume-Uni. Mais le SNP estime cependant que le Brexit a changé la donne et la mort de la reine, symbole de continuité, pourrait donner aux Écossais une raison de plus de sauter le pas.

« La monarchie la plus forte au monde »

Indépendance ou pas, la foule monstre qui s’est massée dans les rues d’Édimbourg pour voir passer le cortège funèbre lundi montre bien à quel point l’institution est importante pour la population écossaise, selon Pat McCorry.

« C’est la monarchie la plus forte au monde ! C’est bon pour le Royaume-Uni et c’est bon pour l’Écosse », lance le retraité.

Lui-même faisait la queue, avec des milliers de personnes, pour avoir la chance d’aller se recueillir devant le cercueil de la reine, dans la cathédrale Saint-Gilles.

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Pat McCorry

Je vais avoir ma chance, même si je dois attendre toute la nuit !

Pat McCorry, dans la file pour accéder à la cathédrale Saint-Gilles

La file des endeuillés faisait plusieurs pâtés de maisons, en fin de journée lundi, juste avant l’ouverture des portes de la cathédrale au public.

Plus tôt dans l’après-midi, le cortège funéraire avait quitté le palais de Holyroodhouse, résidence officielle de la reine en Écosse, où le cercueil avait passé la nuit, pour se rendre à la cathédrale Saint-Gilles.

L’un à côté de l’autre, les quatre enfants d’Élisabeth II ont suivi le corbillard à pied sur plus d’un kilomètre dans la vieille ville de la capitale écossaise : Charles III, les princes Andrew et Edward ainsi que la princesse Anne ont marché en rythme, tous en uniforme militaire à l’exception d’Andrew, en retrait de la monarchie à la suite des accusations d’agressions sexuelles auxquelles il a mis fin en payant des millions de dollars.

Lors de la cérémonie religieuse suivant la procession, la couronne d’Écosse, en or massif, a été déposée sur le cercueil. Puis la dépouille d’Élisabeth II, symbole de stabilité pendant des décennies de bouleversements, doit rester exposée dans la cathédrale pendant 24 heures, pour permettre au public de lui rendre hommage.

Après le service religieux, Charles III a reçu la première ministre. Puis, en soirée, la famille royale tenait une veillée funèbre en privé.

PHOTO PETER BYRNE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le roi Charles III et la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon

En matinée, le nouveau roi avait reçu, au Parlement britannique à Londres, les condoléances des présidents de la Chambre des Lords et de la Chambre des communes.

« En me tenant devant vous aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de ressentir le poids de l’Histoire qui nous entoure et qui nous rappelle les traditions parlementaires vitales auxquelles les députés des deux chambres se consacrent », a déclaré le souverain dans un court discours.

Il a affirmé que sa mère était « un exemple de dévouement [qu’il est] résolu à suivre fidèlement avec l’aide de Dieu et vos conseils ».

Avec l’Agence France-Presse