(Édimbourg) Le décès de la reine Élisabeth II en Écosse lie à tout jamais le destin de cette région à celui de la souveraine. Mais sa disparition relance également le débat brûlant des dernières années sur l’indépendance du pays constitutif.

À Édimbourg, où le cercueil de la souveraine est arrivé dimanche, des barrières de sécurité étaient nécessaires pour contenir la foule venue saluer une dernière fois leur reine. Partout, le portrait d’Élisabeth II orne la capitale écossaise, depuis les vitrines des magasins aux panneaux publicitaires.  

Archie Nicol, venu à 67 ans depuis Kintore (nord de l’Écosse) jusqu’à Balmoral pour se recueillir, estime que la reine est l’un « des fondements du Royaume-Uni » et « une des choses qui ont contribué à préserver l’unité » du pays, notamment face aux poussées indépendantistes écossaises.  

Mais le désormais roi Charles III, moins populaire que sa mère, saura-t-il incarner cette figure garante de l’unité de la nation ? Certains commentateurs politiques et experts en doutent, estimant que ce moment de deuil pourrait distendre encore des liens déjà mis à mal.  

« Le passage de la Couronne est un moment de vulnérabilité, peut-être même de fragilité », juge dans The Herald Adam Tomkins, juriste et professeur de droit constitutionnel à l’université de Glasgow, alors même que le mouvement indépendantiste grandit en Écosse depuis quelques années.  

« L’Union en péril »

Au pouvoir depuis 2007 en Écosse, le Parti indépendantiste écossais (SNP) a connu un regain de vigueur après le Brexit, la province britannique ayant elle voté à 62 % pour rester au sein de l’Union européenne.  

Malgré le refus répété du gouvernement britannique, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon a annoncé fin juin vouloir organiser un nouveau référendum sur l’indépendance le 19 octobre 2023. Une décision qui sera examinée les 11 et 12 octobre par la Cour suprême britannique.  

Les Écossais avaient déjà été consultés sur le sujet en 2014 et avaient voté à 55 % pour rester au sein du Royaume-Uni. Mais le SNP estime cependant que le Brexit a changé la donne et la mort de la reine, symbole de continuité, pourrait donner aux Écossais une raison de plus de sauter le pas.

« L’Union (entre l’Écosse et le reste du Royaume-Uni) est probablement plus en péril maintenant qu’elle est partie », met en garde dans le Daily Mail le journaliste Andrew Neil. « Le roi Charles aimera l’Écosse tout autant que la reine », ajoute-t-il. « Mais il n’a tout simplement pas son autorité. »

« Certains Écossais considéreront la fin de cette époque comme un moment naturel pour un nouveau départ », estime lui aussi le journaliste écossais Alex Massie dans le Times.  

« Reine des Écossais »

Tout indépendantiste qu’il soit, le SNP n’appelle pour autant pas forcément à une rupture avec la monarchie. Mme Sturgeon avait rapidement présenté jeudi ses « plus sincères condoléances » à l’annonce de la mort de la reine, saluant sa vie de « dévouement et un service extraordinaire ».

Le fondateur du SNP Alex Salmond, ex-premier ministre écossais, avait même inventé l’expression « reine des Écossais » et noué des liens étroits avec Charles, du temps où il était prince.  

Le nouveau roi entretient par ailleurs un rapport particulier avec l’Écosse : outre son penchant pour les kilts, Charles III a passé une partie de son adolescence dans un strict pensionnat écossais et y possède plusieurs résidences.  

Certains journaux régionaux, comme le Daily Record, voient même son engagement bien connu pour l’écologie comme une chance pour l’Écosse, espérant que le souverain pousse la province à se débarrasser de ses mines de charbon et de son passé industriel pour devenir motrice dans les énergies vertes.  

Mais les Écossais restent cependant « sensiblement plus réservés à l’égard de la Maison de Windsor que les électeurs anglais », rappelle le journaliste Alex Massie, invitant Nicola Sturgeon à écouter « le devoir » pour offrir « un avenir républicain à l’Écosse ».  

Seuls 45 % d’entre eux soutenaient la monarchie, lors d’un sondage réalisé par le groupe de réflexion British Future en juin, avant le jubilé de la reine, tandis que 36 % souhaitaient passer à une République. Avec le décès de cette figure symbolique, l’écart pourrait se réduire voire la tendance s’inverser.