(Kyiv) Pendant des semaines, la Russie et l’Ukraine se sont accusées mutuellement d’avoir tiré à l’artillerie sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, dans le sud de l’Ukraine, après une série d’attaques qui mettent en péril non seulement la région, mais aussi le monde entier.

Alors que la plus grande centrale nucléaire d’Europe se rapproche d’une crise éventuelle, les deux parties ont reconnu les risques d’un accident nucléaire potentiel et ont poursuivi ce week-end d’âpres négociations pour permettre aux inspecteurs des Nations unies de visiter le site — et pourtant, les bombardements se poursuivent.

Des tirs de barrage de plus en plus nombreux près de la centrale ont touché des villes, des dépôts de munitions et une base militaire russe lors d’intenses combats dimanche matin, selon des responsables ukrainiens, ce qui soulève la question de savoir si la zone sera un jour suffisamment sûre pour permettre aux inspecteurs de s’approcher de la centrale.

L’Agence internationale de l’énergie atomique, l’organisme de surveillance nucléaire des Nations unies, a réuni une équipe d’experts dans l’espoir qu’elle se rende à Zaporijjia « dans les prochains jours », ont indiqué les responsables, tout en précisant que les discussions se poursuivaient.

L’équipe évaluera les dommages matériels causés à la centrale, déterminera si les systèmes de sûreté et de sécurité principaux et de secours sont fonctionnels et examinera les conditions de travail du personnel, a indiqué l’agence dans un communiqué.

La centrale est contrôlée par l’armée russe, mais exploitée par des ingénieurs ukrainiens travaillant sous la menace des armes, selon des responsables ukrainiens.

PHOTO FOURNIE PAR PLANET LABS PBC, ARCHIVES REUTERS

Vue aérienne de la centrale nucléaire de Zaporijjia, le 13 août dernier

Des obus ont déjà touché la centrale de Zaporijjia, endommageant des équipements auxiliaires et des lignes électriques, mais pas les réacteurs. La Russie a nié avoir tiré près des réacteurs, alors que des témoins interrogés après avoir fui vers le territoire contrôlé par l’Ukraine ont décrit des positions russes tirant en direction du site.

Les frappes ont renforcé les craintes d’un accident nucléaire dans cette zone, une étendue de champs agricoles le long du Dniepr. Les autorités ukrainiennes se sont déjà empressées de distribuer de l’iodure de potassium aux dizaines de milliers de personnes vivant à proximité de la centrale. Ce médicament peut protéger les gens contre le cancer de la thyroïde induit par les radiations.

Les forces russes ont tiré des roquettes samedi soir sur la ville de Nikopol, contrôlée par l’Ukraine, en face de la centrale, sur la rive opposée du Dniepr, qui sépare les deux armées dans la région, a déclaré Valentin Reznichenko, un responsable militaire local. Les frappes ont endommagé des maisons et des voitures et privé d’électricité 1500 habitants, a-t-il déclaré dans un message sur Telegram.

PHOTO KOSTIANTYN LIBEROV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un homme nettoie un appartement de Nikopol détruit par une frappe, le 15 août dernier

Lors d’un assaut séparé sur la ville, des hélicoptères russes ont tiré des roquettes, selon l’armée ukrainienne, qui a signalé des dommages à une maison, mais pas de victimes.

Le ministère de la Défense de Russie a déclaré que son armée de l’air avait frappé des ateliers ukrainiens où des hélicoptères étaient réparés dans la région voisine de Zaporijjia, selon l’agence de presse publique russe RIA Novosti. Cette affirmation n’a pas pu être vérifiée de manière indépendante.

Intégrer les Ukrainiens à la Russie

Au cours du week-end, Vladimir Poutine a signé des décrets accordant aux Ukrainiens des avantages financiers et le droit de travailler, élargissant ainsi les efforts du Kremlin pour intégrer les Ukrainiens vivant en Russie et sur le territoire qu’elle occupe.

Dans l’un des décrets, le président de la Russie a donné aux Ukrainiens le droit de rester et de travailler en Russie sans limites de temps ni permis de travail spécial, à condition qu’ils remplissent certaines conditions, notamment en passant un test antidrogue, a rapporté un média d’État à Moscou.

L’autre mesure instaure une pension mensuelle d’environ 170 $ pour les personnes qui ont été contraintes de quitter l’Ukraine depuis le 18 février, une semaine avant que la Russie ne lance son invasion et ne plonge la région dans la guerre. Elle prévoit également des pensions mensuelles pour les personnes handicapées et un paiement unique pour les femmes enceintes.

Ces décrets sont les derniers d’une série de mesures prises par le Kremlin, apparemment destinées à rapprocher les territoires occupés de l’est et du sud de l’Ukraine de la Russie.

Moscou a offert des passeports russes aux Ukrainiens de ces régions, a demandé aux gens d’utiliser le rouble comme monnaie et a redirigé l’internet vers des serveurs russes.

PHOTO LYNSEY ADDARIO, THE NEW YORK TIMES

Des soldats ukrainiens vérifiaient les papiers d’hommes arrivant de Kherson, en Ukraine, à un poste de contrôle à Novooleksandrivka, dans la région de Louhansk, dimanche.

Depuis le début de la guerre, les habitants des territoires ukrainiens tenus par les Russes se sont déplacés en grand nombre vers la Russie. Certains ont évacué de leur plein gré, fuyant le chaos et le danger de l’invasion, mais d’autres ont été déportés ou contraints de se déplacer, selon des responsables ukrainiens.

La Russie a reconnu que 1,5 million d’Ukrainiens se trouvaient actuellement en Russie et a affirmé qu’ils ont été évacués pour leur sécurité.

Les responsables ukrainiens et américains ont toutefois accusé la Russie d’avoir expulsé de force des centaines de milliers de personnes de l’Ukraine, dont des enfants.

Moscou empêche un consensus sur les armes nucléaires

Les responsables occidentaux ont également renouvelé leurs critiques à l’égard de Moscou au cours du week-end, après avoir déclaré que des responsables russes ont bloqué l’adoption d’une déclaration commune sur un traité sur les armes nucléaires pour clôturer une conférence des Nations unies.

La conférence d’un mois — sur le maintien et le renforcement du traité mondial sur la non-prolifération des armes nucléaires, vieux de 50 ans — se tient tous les cinq ans et était autrefois considérée comme une chance de combler les lacunes qui ont permis une résurgence de la propagation des armes nucléaires.

Les espoirs de percées ce mois-ci étaient faibles. La dernière conférence n’a pas non plus abouti à un document consensuel.

Un diplomate russe de haut rang de la délégation de Moscou, Andreï Belousov, a imputé l’absence d’accord aux efforts déployés par d’autres pays pour utiliser le document « afin de régler des comptes avec la Russie en soulevant des questions qui ne sont pas directement liées au traité ».

Les responsables américains ont clairement indiqué qu’ils considéraient les objections de la Russie comme liées à l’Ukraine.

« Nous n’avons pas été en mesure de parvenir à un document consensuel en raison du choix inexplicable d’un État », a écrit sur Twitter le représentant spécial des États-Unis pour la non-prolifération nucléaire, Adam Scheinman. « Les États-Unis regrettent profondément le refus de la Russie de reconnaître la gravité de la situation en Ukraine. Il est absurde que la Russie ne puisse pas le faire. »

Ce texte a d’abord été publié dans le New York Times.

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