(Kharkiv, Ukraine ) En plein cœur de l’été, la deuxième ville d’Ukraine se prépare à rouvrir ses écoles aux enfants n’ayant pas encore pris le chemin de l’exil. Mais la Russie continuant de pilonner quotidiennement la région, la rentrée s’annonce particulièrement dangereuse.
Le visage marqué par la fatigue, Olga Chpakovska, prof de littérature, inspecte la bibliothèque de son école située en banlieue de Kharkiv. Un gigantesque trou d’obus en balafre le plafond.
« Les dégâts sont trop profonds, nous n’aurons pas les moyens de réparer avant la rentrée scolaire du 1er septembre », se désole-t-elle avant de filer vers une aile du bâtiment épargnée par le souffle des bombes russes.
Là, une poignée de professeurs bénévoles tentent de remettre d’aplomb les quelques salles de classe toujours intactes. « Nous nous préparons à accueillir les élèves à la rentrée, au cas où les autorités militaires nous en donneraient l’autorisation », explique Olga Chpakovska.
Quelques minutes plus tard, une alerte antiaérienne déchire le ciel estival. Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, n’est située qu’à 40 km de la frontière russe et continue d’être pilonnée par l’armée ennemie. Les professeurs dévalent les étages et se précipitent en direction de la cave. Sur un sol de terre battue humide et faiblement éclairés par quelques lampes de fortune, des dizaines de petits bureaux sont alignés.
Nous avons aménagé la cave en prévision de la rentrée. Une centaine d’élèves pourront y continuer leurs cours en cas de bombardement.
Olga Matsoulevitch, directrice d’une école en banlieue de Kharkiv
Au cœur du mois de juillet, des milliers de professeurs de Kharkiv préparent ainsi la rentrée sous les bombes. Selon les directives du gouvernement ukrainien, seules les écoles équipées de bunkers antiaériens pourront rouvrir en septembre. Ironie de l’Histoire, les normes de sécurité du temps de l’URSS obligeaient déjà les bâtiments publics à aménager de tels abris, et la moitié des écoles primaires en étaient pourvues, avant même le début de cette guerre.
« Mon école ne rouvrira jamais »
Quelques rues plus loin, l’école 47 n’est plus concernée par l’urgence des réparations. Connu dans la région pour son excellence, l’établissement a subi les foudres de l’artillerie russe. « Une première roquette est tombée début mars. Puis, en juin, c’est carrément un missile balistique qui a réduit le bâtiment principal en poussière, explique Nina Klimenko, directrice. Les ingénieurs venus inspecter les dégâts ont conclu que la structure était irrémédiablement atteinte. Mon école ne rouvrira jamais. »
Selon les autorités de Kharkiv, 32 autres établissements scolaires auraient ainsi été anéantis par les bombardements russes.
Malgré d’importants dégâts, les écoles restées debout devraient néanmoins pouvoir accueillir tous les élèves qui reprendront le chemin de l’école : Kharkiv, déserté par ses habitants, reste une ville fantôme.
Selon le maire de la ville, les deux tiers de la population sont toujours en exil et 90 % des commerces restent fermés. « On comptait 126 000 élèves avant la guerre. Il n’en reste plus qu’un quart », explique Olga Evhenïevna.
Les professeurs restants devront ainsi jongler entre leurs élèves revenus en classe et ceux toujours en exil. Pour Lioudmila Polichtchouk, professeure d’informatique, la perspective de devoir jongler entre les alertes antiaériennes, les cours à distance et les leçons au tableau est aussi inquiétante. « Je crains que les enfants y perdent en nombre d’heures d’enseignement », explique la jeune femme qui a passé le printemps à donner des cours en ligne, collée au soupirail du bunker de l’école pour capter l’internet.
« Mes amis me manquent »
Peu pourvue en systèmes antimissiles, l’Ukraine reste à la merci des lance-roquettes multiples, canons à longue portée et autres ogives balistiques, comme le démontrent les récentes attaques de Krementchouk et de Vinnytsia, deux villes pilonnées par plusieurs missiles de croisière russes.
« Tant que les bombardements ne cessent pas complètement, il est inimaginable de renvoyer les enfants à l’école », témoigne Tatiana Tchernitchenko, mère de famille habitant le centre-ville de Kharkiv. Trois jours plus tôt, l’immeuble voisin du sien a été touché par un obus russe. « Nous espérons tout de même la réouverture des écoles, notamment car l’éducation en ligne n’est pas satisfaisante. Il est très difficile de maintenir les enfants concentrés toute la journée », estime son mari Igor, que la guerre a mis au chômage et privé des moyens d’envoyer sa famille en exil.
Le cadet de leurs quatre enfants, Maksim, voit une autre raison de retourner à l’école : « Mes amis me manquent », lance-t-il d’une petite voix.
Je sens que mon niveau scolaire baisse, cela m’inquiète beaucoup.
Artem Ribalka, 14 ans, amoureux des mathématiques
Dans le quartier de Saltivka, Sacha et Jana, deux cousins de 14 et 19 ans, fraient leur chemin parmi les herbes folles de leur cité-dortoir désormais déserte. Une cigarette à la main et des claquettes aux pieds, les deux adolescentes esquivent les trous d’obus parsemant les environs. Deux jours auparavant, une salve de roquettes russes a fauché trois habitants dans le parc en dessous de chez elles. « C’était six roquettes de type Grad, explique Sacha avec fatalisme. Malgré le danger, j’aimerais reprendre les cours. Je souhaite devenir infirmière, comme Jana, et je ne voudrais pas que la guerre remette mes rêves en question. »