Le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, a annoncé mercredi qu’il entendait demeurer en poste à l’issue d’une journée tumultueuse ponctuée par la démission en série de dizaines de membres du gouvernement réclamant son départ. Il pourrait néanmoins être poussé vers la porte par la tenue prochaine d’un nouveau vote de défiance.

Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ?

L’insatisfaction envers Boris Johnson au sein du Parti conservateur alimente la chronique au Royaume-Uni depuis des mois. Une succession de scandales, notamment le partygate, lié à la participation du premier ministre à des fêtes arrosées tenues dans sa résidence officielle en pleine pandémie de COVID-19, ont entretenu une fronde ayant mené à la tenue début juin d’un premier vote de défiance qui a échoué à le déloger. La contestation a pris une tout autre importance cette semaine en réaction à la polémique suscitée par le comportement de l’ex-whip en chef adjoint du parti, Chris Pincher, qui a dû démissionner la semaine dernière après s’être livré à des attouchements sur deux hommes lors d’une sortie dans un bar. Boris Johnson a d’abord nié qu’il savait avant de le nommer en février que M. Pincher avait déjà fait l’objet d’une enquête sur des écarts de conduite similaires par le passé. Il a ensuite rapidement changé son discours et s’est excusé en arguant qu’il ne s’était pas « souvenu immédiatement » de cette information.

Pourquoi cette affaire a-t-elle fait réagir autant au sein du Parti conservateur ?

Le changement de discours de Boris Johnson, qui s’inscrit dans une longue « lignée de mensonges », a été « la goutte qui fait déborder le vase » pour nombre d’élus de la formation du premier ministre, relève en entrevue Steven Fielding, politologue de l’Université de Nottingham. Beaucoup s’exaspèrent du fait que le comportement du politicien monopolise l’attention et mine la crédibilité du gouvernement et sa capacité à agir. Deux ministres influents ont démissionné lundi en évoquant leur manque de confiance envers leur chef, suivis mardi par des dizaines de membres du gouvernement de rang moindre. L’irritation des élus est aussi exacerbée par le fait que le Parti conservateur a perdu il y a deux semaines de manière décisive deux élections partielles. Boris Johnson avait permis à sa formation de remporter une large majorité lors du scrutin de 2019, mais « beaucoup d’élus le voient maintenant comme un boulet » et craignent pour leur avenir alors que le parti se retrouve loin derrière les travaillistes dans les sondages, souligne Christopher Stafford, un autre analyste politique britannique joint par La Presse.

Boris Johnson peut-il rester au pouvoir malgré tout ?

En fin de journée mardi, plusieurs ministres influents se sont rendus au 10 Downing Street pour tenter, sans succès, de le convaincre de partir. Plusieurs médias britanniques ont rapporté qu’il avait déclaré vouloir rester en poste pour s’occuper des « problèmes importants » auxquels fait face le Royaume-Uni, notamment sur le plan économique et sur le plan sanitaire. M. Fielding note que le premier ministre peut techniquement s’accrocher au pouvoir alors que les démissions s’accumulent, mais prévient qu’il risque d’être poussé vers la porte rapidement par un nouveau vote de défiance. Une telle procédure ne pourrait théoriquement se tenir avant un an en raison du vote tenu début juin, mais la restriction risque d’être levée dès la semaine prochaine parce que les opposants de Boris Johnson sont en position de prendre le contrôle du comité fixant les règles du parti à ce sujet. « Il devient de plus en plus évident que sa base s’est réduite comme peau de chagrin. Johnson se retrouve dans une situation qui semble sans issue », souligne le directeur du département de science politique de l’Université de Montréal, Frédéric Mérand, qui voit mal comment Boris Johnson pourrait survivre à un nouveau vote de défiance.

Existe-t-il d’autres avenues pouvant permettre au premier ministre de sauver sa peau ?

Christopher Stafford note que Boris Johnson pourrait jouer son va-tout en déclenchant de nouvelles élections avant qu’un nouveau vote de défiance ne soit tenu. Le Parti conservateur, dit-il, pourrait alors être forcé de se lancer en campagne avec à sa tête l’actuel premier ministre, malgré l’importance des réserves exprimées à son égard. Une telle manœuvre, relève le chercheur, serait potentiellement dommageable pour la formation vu sa position dans les sondages, mais ne peut être exclue. « Boris Johnson a tenté pendant des années de devenir premier ministre. C’est tout ce qu’il a toujours voulu, c’est tout ce qui lui importe vraiment », dit-il. Frédéric Mérand doute que le politicien veuille se retrouver en campagne électorale dans de telles circonstances, mais n’exclut rien. « Ce qui est certain, c’est qu’il ne partira pas discrètement et avec élégance. Si on le pousse à quitter son poste, il va tout faire péter », prévient l’universitaire.