L’alliance dirigée par Jean-Luc Mélenchon marque-t-elle la fin du Parti socialiste ?

François Mitterrand doit se retourner dans sa tombe.

Après son score lamentable au premier tour de la présidentielle, le Parti socialiste (PS) vient de se renier en partie en se joignant à une nouvelle coalition de gauche qui suscite autant d’enthousiasme que de scepticisme.

Formée il y a quelques jours en prévision des élections législatives des 12 et 19 juin en France, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) réunira les socialistes, les Verts (EELV) et le Parti communiste, sous la férule de La France insoumise (FI), le parti de gauche radicale piloté par Jean-Luc Mélenchon.

Une telle alliance semblait encore impossible il y a un mois, tant les divergences entre ces formations sont grandes.

Mais les rivaux d’hier ont mis leurs différences de côté, dans l’espoir que ce front commun leur permettra de remporter la majorité des 577 sièges à l’Assemblée nationale et imposer la cohabitation au président Emmanuel Macron, avec Mélenchon comme premier ministre.

Les pour et les contre

Les promoteurs de cette coalition n’hésitent pas à parler d’un moment « historique » pour la gauche française.

Les plus romantiques évoquent le mythique Front populaire de 1936, ou le Programme commun de 1972 entre les socialistes et les communistes.

Les plus pragmatiques affirment qu’elle répond aux attentes des électeurs de gauche, qui souhaitaient ce rassemblement depuis les débuts de la campagne présidentielle. On y voit un symbole de renouveau pour une France plus sociale et plus écolo.

Les plus stratégiques saluent l’habile coup politique de Jean-Luc Mélenchon, qui profite de sa solide performance au premier tour de la présidentielle (troisième position avec 22 % des voix) pour mettre les autres partis de gauche à sa botte.

Mais ses détracteurs, eux, y voient plutôt un « mariage de circonstance » voué à l’échec, estimant que les compromis faits par les uns et les autres pour faire exister cette coalition finiront tôt ou tard par éclater.

« Historiquement, les unions à gauche n’ont jamais été des amours de pâquerettes et de bisounours. Et ça le sera encore moins cette fois-ci », prévoit le politologue Jean Petaux, perplexe.

Selon lui, cette soi-disant « union populaire » n’est qu’un « accord électoral de circonscriptions », où les questions de fond ont malheureusement été mises sous le tapis par opportunisme et en raison de l’urgence.

[Les membres de la coalition] n’ont pas d’accord programmatique sur des questions aussi essentielles que la laïcité, l’Europe, l’OTAN, les relations internationales, la planification écologique ou la question du nucléaire. Il n’y a pas le début d’une réflexion collective là-dessus.

Jean Petaux, politologue français

« Ils n’ont pas les mêmes idées sur tout et sans doute que cela ressortira lors des futures réformes du quinquennat Macron », ajoute Caroline Vigoureux, journaliste politique à L’Opinion.

Rien ne dit, en outre, que ce coup de poker se traduira par une victoire aux législatives. Les projections ne donnent pour le moment qu’entre 120 et 160 sièges à la NUPES, encore loin des 289 requis pour une majorité à l’Assemblée.

« Les chances d’obtenir une majorité absolue sont quand même extrêmement faibles, confirme Caroline Vigoureux. En revanche, ils ont des chances plus sérieuses de devenir le premier groupe d’opposition à l’Assemblée, ce qui leur donnerait un pouvoir de nuisance assez considérable. »

Pour le moment, les sondages prévoient que la coalition macroniste Ensemble, formée des partis MoDem, Horizons et Renaissance (nouveau nom de La République en marche), remporterait entre 310 et 350 sièges à l’issue du scrutin, le Rassemblement national entre 30 et 50, et le parti Les Républicains entre 50 et 80.

Irréversible

Reste à savoir dans quel état le Parti socialiste, formation historique qui a dirigé la France en alternance avec la droite pendant 30 ans avant l’élection de Macron en 2017, sortira de cette nouvelle zone de turbulences.

Il faut savoir que la formation, très affaiblie par son score historiquement bas (1,5 % des voix) au premier tour de la présidentielle, vient de concéder la majorité des circonscriptions à La France insoumise, n’en conservant que 70 sur 577, un scénario qu’on aurait cru impensable il y a encore cinq ans.

Pour certains, cet accord signe ni plus ni moins la fin du Parti socialiste dans sa forme actuelle, faisant ressurgir des lignes de fracture qui annoncent des lendemains difficiles.

D’un côté, il y a ceux qui y voient une planche de salut pour une formation aux abois.

De l’autre, ceux qui dénoncent un reniement du logiciel socialiste, à l’image de l’ex-président François Hollande et de ses anciens premiers ministres Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, ce dernier ayant même démissionné du parti cette semaine en dénonçant un « rafistolage » et une « forme de démission ».

Prudente, Caroline Vigoureux hésite à parler d’une mort annoncée. Mais il est clair, selon elle, que l’accord scellé laissera « des traces irréversibles » sur un PS qui « n’en sortira pas indemne ».

Jean Petaux est plus fataliste et voit dans cet accord « une forme de poison à effet lent » pour le Parti socialiste. À moins que son ancrage local et territorial (maires, conseillers municipaux, départementaux) lui évite une disparition pure et simple.

« C’est cette implantation qui va lui permettre de ne pas complètement sombrer, conclut-il. Mais je pense qu’à terme, le Parti socialiste de François Mitterrand est mort. Il va disparaître dans son entité, comme il a disparu en Italie. C’est comme ça. Ce sont des choses qui arrivent… »

Avec l’Agence France-Presse