« J’ai reçu l’ordre de tirer », a déclaré Vadim Chichimarine, un sergent de l’armée russe âgé de 21 ans seulement, à l’ouverture de son procès, hautement médiatisé, à Kyiv, capitale de l’Ukraine, dans la foulée de l’invasion russe.

Ce procès qui s’est ouvert vendredi est le premier à mettre en cause un accusé pour crimes de guerre depuis le début de l’offensive russe.

Vadim Chichimarine est accusé d’avoir tué un civil ukrainien qui faisait du vélo dans le village de Choupakhivka, dans le nord-est, en l’abattant d’une balle dans la tête. L’affaire remonte au 28 février, quatre jours après le début du conflit.

« J’ai reçu l’ordre de tirer, a déclaré le jeune homme, qui s’est présenté mine basse, crâne rasé et vêtu d’un survêtement dans le box des accusés entouré de verre. Je lui ai tiré dessus. Il est tombé. Et nous avons continué. »

Ce procès risque d’être le premier d’une très longue liste, s’il faut en croire les autorités ukrainiennes.

Mardi, le procureur de la région de Kharkiv, Olexandr Filchakov, indiquait que près de 10 000 enquêtes pour crimes de guerre avaient été ouvertes depuis le 24 février et que 622 suspects avaient été identifiés.

Questions en suspens

Or, plusieurs questions juridiques complexes restent à résoudre dans de tels cas. À commencer par savoir qui va défendre l’accusé.

« Quel avocat ukrainien va avoir le courage de faire ça ? se demande Philippe Larochelle, avocat en droit pénal international depuis 20 ans. Cet avocat va avoir beaucoup de pression ! Ça va être très difficile. Et qui va le payer ? Et le juge qui entend cette preuve-là ? Il a toute une pression aussi. Qu’on imagine le juge acquitter un soldat russe. Bonne chance pour avoir une future nomination. Nous sommes dans une situation plus difficile que dans des procès normaux. »

Comme le veut la Troisième Convention de Genève, le sergent Chichimarine sera jugé devant une cour militaire. Et, rappelle Moussa Bienvenu Haba, conseiller juridique à Avocats sans frontières, section Québec, il bénéficie des droits inhérents à cette convention.

« Lorsqu’une telle procédure est enclenchée, l’accusé a le loisir de choisir son avocat, rappelle M. Haba. Sinon, l’État peut aider l’accusé à trouver un avocat. Et à défaut de remplir une des deux premières options, l’État va désigner d’office un avocat. Si un État prive un accusé de son droit à une défense pleine et entière, c’est une violation grave. »

Avocat de la défense, Philippe Larochelle estime qu’une telle cause doit être examinée sous plusieurs angles.

« On entre dans un test difficile avec toutes sortes de nuances à faire, estime-t-il. On peut se demander par exemple si la victime avait un lien avec les forces ukrainiennes. Était-elle en mission ? Participait-elle aux hostilités ? Il existe peut-être des éléments de preuve, comme des échanges de textos, pour étayer une éventuelle participation aux hostilités. Si le soldat russe veut monter une défense, il pourrait avoir de la difficulté à obtenir de l’information des forces ukrainiennes. Il y a tellement de scénarios ! »

Même chose avec d’éventuels témoins. Si l’accusé et son avocat veulent appeler des militaires ukrainiens qui étaient près des lieux de l’évènement à témoigner pour bâtir leur défense, vont-ils être capables de les retrouver et de les faire comparaître ?

Selon MLarochelle, il y a encore beaucoup de données à éclaircir.

Pourquoi pas la CPI ?

Depuis plusieurs semaines, on sait que la Cour pénale internationale (CPI) a lancé une enquête sur des allégations de crimes de guerre commis en Ukraine. Cette semaine, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a aussi ouvert sa propre enquête.

N’y a-t-il pas surdose d’enquêtes judiciaires menées en même temps ? Non, répond Amissi Manirabona, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

« La CPI n’a pas à juger tout le monde, dit-il. Elle va souvent chercher à limiter sa recherche de responsabilités chez les plus hauts responsables des crimes de guerre. »

Un pays qui possède un système judiciaire adéquat va s’occuper de cas comme celui du sergent Chichimarine.

« Pour l’Ukraine, ce procès est important, croit M. Manirabona. Ça va aider le pays à consolider le droit à l’interne, l’aider à mieux outiller son dispositif judiciaire. J’imagine que ça va se faire de façon équitable, sans influence politique. Même si ce n’est pas évident ! »

Selon les textes publiés vendredi par les agences de presse, si l’accusé est reconnu coupable, il risque la prison à vie. Il n’a pas été question de peine de mort.