Andriy Andruchkiv a pris la pleine mesure de l’effet dévastateur des exactions perpétrées par les forces russes en se rendant dans un village récemment libéré près de la ville de Tchernihiv, une soixantaine de kilomètres au nord de Kyiv.

« Nous avons tenté de parler avec la population locale pour leur offrir de l’aide, mais ils étaient incapables de nous répondre, ils étaient en état de choc. Les gens me regardaient comme si j’étais du brouillard, une sorte de fantôme », relate le soldat de 36 ans, qui a visité plusieurs agglomérations de la région depuis le retrait des troupes russes pour recueillir des informations stratégiques sur leur modus operandi et leurs capacités technologiques.

Dans un autre village situé près de la capitale, il a été frappé de voir que des panneaux rédigés en russe avaient été placés par des résidants pour signaler aux envahisseurs la présence d’enfants ou de personnes handicapés. « Plusieurs sont encore visibles devant des bâtiments qui ont été détruits », a-t-il relaté lundi en entrevue avec La Presse depuis Kyiv.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRIY ANDRUCHKIV

Andriy Andruchkiv pose dans une rue désertée de Kyiv, en mars

C’est de la violence pure. Les Russes l’ont fait parce qu’ils le pouvaient, il n’y a pas d’autre raison de détruire de petites maisons dans une rue résidentielle.

Andriy Andruchkiv, soldat ukrainien à Tchernihiv

M. Andruchkiv se dit aussi troublé par les récits d’exactions contre les civils récoltés au fil de ses déplacements.

« J’ai entendu le même récit dans plusieurs villages. Les soldats russes sont allés de maison à maison pour trouver les hommes en âge de se battre et les amener. Les familles se faisaient dire qu’ils seraient interrogés, mais retrouvaient ensuite leurs corps abandonnés dans les bois », souligne le soldat.

Des actes « lucifériens »

« Pour les Russes, le fait de tuer les hommes est un gage de sécurité. Le fait de violer des femmes et des enfants me semble cependant incompréhensible, c’est carrément luciférien », relève l’Ukrainien, qui s’est joint à une unité militaire à Kyiv début mars, une semaine à peine après s’être enrôlé près du village de ses parents, dans l’ouest du pays.

PHOTO EVGENIY MALOLETKA, ASSOCIATED PRESS

Des proches de Veronika Kuts, 12 ans, pleurent sa mort lors de ses funérailles, vendredi, dans la région de Tchernihiv. La jeune fille est morte à la suite de bombardements russes.

« Ils avaient besoin de gens qui connaissent bien la région », relate le soldat, diplômé en philosophie et en théologie qui a vécu plusieurs années en banlieue de la capitale, à Irpin, ville durement touchée par la guerre. Il dirigeait une organisation non gouvernementale avant de se décider à prendre les armes.

L’organisation en question, spécialisée dans l’étude des politiques publiques, planchait sur des réformes en santé et en éducation, mais n’avait rien à voir avec le secteur militaire, relève M. Andruchkiv, qui avait pris soin, avant l’éclatement du conflit, de payer une formation spécialisée aux employés pour tenter de les préparer aux affres de la guerre.

Lorsque j’ai été avisé le 24 février que les Russes avaient lancé l’invasion, j’ai envoyé un courriel à mes employés en les informant que tout ce que nous avions vu en préparation d’une guerre devait maintenant s’appliquer.

Andriy Andruchkiv

Son organisation continue d’opérer, mais a réaffecté ses ressources pour venir en aide aux Ukrainiens touchés par la guerre. Un site a notamment été mis sur pied pour mettre en lien des familles dans le besoin avec des personnes susceptibles de les accueillir.

Andriy Andruchkiv s’est consacré parallèlement à son nouveau rôle militaire en offrant son soutien et sa connaissance du terrain à des équipes d’artilleurs qui croisaient le fer à distance avec l’armée russe.

PHOTO ZOHRA BENSEMRA, REUTERS

Des volontaires distribuent de la nourriture à des résidants de Tchernihiv, samedi.

« Je me suis retrouvé une nuit à proximité d’un village qui était complètement dans le noir. Quelqu’un là-bas a lancé une fusée éclairante pour souligner notre position et les ogives ont commencé à pleuvoir », relate le soldat.

Les forces russes, dit-il, ont mal planifié leur opération contre la capitale et n’avaient d’autre choix que de battre en retraite après s’être heurtées à la résistance des forces ukrainiennes.

L’heure n’est cependant pas aux réjouissances, prévient M. Andruchkiv, puisque l’offensive annoncée par Moscou pour conquérir l’ensemble de la région du Donbass, dans l’est du pays, n’augure rien de bon.

La frappe de missiles contre la gare de Kramatorsk, qui a fait des dizaines de morts vendredi, a bien montré « que les Russes n’ont pas de limites » et que d’autres tueries suivront si rien n’est fait pour renverser la vapeur.

Appel à l’aide internationale

Les Ukrainiens, dit le soldat en faisant écho aux appels répétés du président Volodymyr Zelensky, ont besoin d’un soutien accru des pays occidentaux pour venir à bout de l’assaut russe.

« S’il est possible de nous aider en fournissant plus d’armes et de technologies de pointe, ce serait extrêmement utile. Nous avons beaucoup de bons soldats, mais ce n’est pas une guerre de soldats, c’est une guerre d’artillerie et d’avions », souligne M. Andruchkiv.

La révélation d’exactions multiples contre des civils dans la région de Kyiv a suscité des réactions indignées à l’étranger qui s’avéreront hypocrites si elles ne se traduisent pas par une approche plus musclée envers Moscou, dit-il.

« On avait déjà prévenu le monde il y a un mois de ce que ferait la Russie. Si rien ne change, ils referont la même chose », alerte le soldat.