On a rarement vu une campagne présidentielle plus étrange. Entre l’entrée en scène tardive du candidat Macron et les bouleversements provoqués par la guerre en Ukraine, rien ne s’est exactement passé comme prévu. À quelques heures du premier tour prévu ce dimanche, La Presse résume en huit mots cette drôle de course à l’Élysée…

PHOTO LEWIS JOLY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un manifestant tient une affiche sur laquelle on peut lire « L’Ukraine c’est l’Europe » lors d’une manifestation contre la guerre en Ukraine à Paris, le 27 mars.

(Paris) Une campagne percutée

C’est peu dire que la guerre en Ukraine a percuté la campagne de plein fouet. Le conflit a monopolisé l’attention des médias français, qui ont exceptionnellement fait passer la course à l’Élysée au second plan, chose inconcevable en temps normal. « Ça a complètement annihilé le reste du débat, lance Caroline Vigoureux, journaliste politique à l’Opinion. Pendant le premier mois, on n’a absolument pas parlé d’autre chose, parce que n’importe quel autre sujet paraissait dérisoire à côté de l’atrocité de la guerre en Ukraine. Ça a créé un climat complètement inédit dans cette campagne… »

PHOTO JOAN MATEU PARRA, ASSOCIATED PRESS

Des partisans de Marine Le Pen, leader de l’extrême droite française, agitent des drapeaux français lors d’un évènement de campagne à Perpignan, dans le sud, le 7 avril.

Une campagne confuse

Après trois ans de crise des gilets jaunes, de la COVID-19, de la guerre en Ukraine, un sentiment de confusion s’est installé dans l’électorat français. Les lignes idéologiques semblent floues, les candidats ont du mal à mobiliser leurs troupes et à convaincre les électeurs. « Il y a un sentiment que la vie politique française est en train de connaître une espèce de délitement, sans qu’il y ait quelque chose de vraiment convaincant qui se recompose en échange », résume Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et enseignant au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

PHOTO PHILIPPE DESMAZES, AGENCE FRANCE-PRESSE

Malgré une baisse des émissions due à la pandémie de COVID-19, la quasi-totalité des citadins de l’Union européenne ont été exposés à des niveaux de pollution atmosphérique supérieurs aux limites recommandées en 2020, selon un rapport publié le 1er avril 2022.

Une campagne absurde

On a parlé de pouvoir d’achat, de retraite, de RSA (bien-être social), d’immigration. Mais le politologue et essayiste Thomas Guénolé se désole que l’environnement n’ait pas été au cœur des débats. « Les thèmes abordés ne sont objectivement ni les plus graves ni les plus importants, lance le politologue. On parle d’immigration alors que la France n’est plus un pays d’immigration de masse depuis très longtemps. Pendant ce temps, on parle à peine de la catastrophe climatique en cours. Le dernier rapport du GIEC dit qu’il faut transformer prodigieusement nos modèles économiques d’ici 2030, sinon la prochaine génération va mourir jeune. Or, c’est un non-sujet pendant la campagne. C’est vraiment comme dans le film Don’t Look Up. Le truc nous fonce dessus et on est en train de débattre des prénoms français. C’est délirant ! »

PHOTO JEREMIAS GONZALEZ, ASSOCIATED PRESS

Le président sortant Emmanuel Macron prend une photo avec des partisans alors qu’il fait campagne dans le village de Spezet, en Bretagne.

Une campagne réduite

Emmanuel Macron a annoncé sa candidature à la dernière minute, soit le 5 mars, expliquant qu’il devait d’abord s’occuper de Poutine et de la crise ukrainienne. Cette entrée en scène tardive a eu pour effet de limiter la campagne dans le temps et de réduire le potentiel d’affrontements entre les candidats, d’autant que le président sortant a refusé de participer à un éventuel débat télévisé. « Une campagne très courte, sur le fond comme sur la forme », résume Caroline Vigoureux.

PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le candidat à la présidence du parti La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, participe à l’émission 10 minutes pour convaincre, sur la chaîne de télévision française TF1.

Une campagne actuelle

Certains ont parlé d’une campagne atypique. Jean Petaux n’est pas tout à fait d’accord. Selon le politologue, cette campagne est au contraire tout à fait « dans l’air du temps », c’est-à-dire complètement « déréglée », à l’image de ce qui se passe dans nos sociétés. « C’est une campagne actuelle parce qu’elle est conforme à la réalité. Une réalité bouleversée par la pandémie, la guerre en Ukraine, la crise climatique… Tout cela participe à sa déstructuration. »

PHOTO BERTRAND GUAY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Éric Zemmour, candidat d’extrême droite à la présidence du parti Reconquête, lève les bras, au côté de Marion Maréchal, après avoir prononcé un discours lors d’un évènement au Palais des Sports, à Paris.

Une campagne anxiogène

Ce ne fut pas un voyage au pays des Câlinours. Entre la guerre en Ukraine et les discours xénophobes d’Éric Zemmour, Caroline Vigoureux note que les thèmes dominants de cette campagne étaient « assez anxiogènes ». Peur, immigration, Grand Remplacement, sécurité, alouette… Thomas Guénolé ajoute que pour la première fois, de grands médias ont soutenu un candidat d’extrême droite, en l’occurrence CNews et C8 (propriété de Canal+ et de la famille Bolloré) avec Éric Zemmour. « C’est effrayant », lâche-t-il.

PHOTO NICOLAS TUCAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Affiches de quelques candidats à la présidentielle

Une campagne atone

Faute d’un véritable débat télévisé entre les 12 candidats (Emmanuel Macron n’a pas voulu se prêter au jeu), les échanges d’idées ont été plutôt rares pendant cette campagne, que Bruno Cautrès décrit comme « atone ». « Il n’y a pas de grands thèmes qui se sont imposés. À l’automne, on a parlé de l’identité nationale et de l’immigration, avec Zemmour et la primaire Les Républicains. Mais ni la question des injustices et des inégalités ni la question du climat et de l’écologie n’ont été posées. Tout a été mangé par ce sentiment de confusion et par la guerre en Ukraine qui a envahi l’espace médiatique. »

PHOTO BOB EDME, ASSOCIATED PRESS

Un employé de la mairie prépare les cartes électorales à Anglet, dans le sud-ouest.

Une campagne habituelle (en un sens…)

Même si le contexte international lui a donné des airs complètement inédits, cette campagne était « habituelle » à sa façon, estime Jean Petaux. « Habituelle parce que le nombre de candidats correspond aux standards que nous connaissons. Habituelle au sens où il y a une représentation de tout le spectre politique, de la gauche radicale à l’extrême droite. Il n’y avait pas de grands absents. Et il n’y a pas eu de faits majeurs de campagne qui sont venus amputer les chances d’un candidat donné gagnant. »