(Paris) Des Tchétchènes tirant tous azimuts au fusil d’assaut, des prisonniers ukrainiens agenouillés, le regard vide, ou traînés au milieu de corps sans vie : sur sa chaîne Telegram, le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov vante chaque jour les mérites de ses troupes, les « kadyrovtsy », des milices de sinistre réputation déployées au côté de l’armée russe en Ukraine.

De Marioupol, ville martyre assiégée par les Russes, à l’Est séparatiste prorusse, l’homme fort de Tchétchénie affiche sa contribution à la guerre à grand renfort de vidéos agrémentées de légendes vantant la « bravoure » de ses hommes face à ceux qu’il appelle les « nazis de Kyiv », reprenant la terminologie de Moscou.

Fils d’un indépendantiste tchétchène passé du côté des Russes, protégé de Vladimir Poutine et régulièrement accusé de graves violations des droits de la personne, il est lui-même apparu à la mi-mars posant au milieu d’une trentaine d’hommes armés dans ce qu’il a présenté comme Marioupol.

Sur les réseaux, Ramzan Kadyrov assure aussi avoir trouvé et « puni » de ses propres mains un Ukrainien parce qu’il avait « torturé » un Russe. Ses hommes arborent fièrement leurs « prises », des soldats ukrainiens blessés, ensanglantés.

Autant d’images à la hauteur de leur réputation forgée sur tous les théâtres d’opérations sur lesquels ils ont sévi, de la Tchétchénie à la Syrie en passant par l’Ukraine, déjà en 2014.

« Alimenter la peur »

Dans la « guerre psychologique » qui fait rage « l’annonce de l’entrée en guerre des troupes de Kadyrov et la propagande qui l’entoure participent de cet effort de déstabiliser l’ennemi », décrypte Aurélie Campana, spécialiste des violences politiques et de la Russie à l’Université Laval.

« Ils sont connus pour leur cruauté. […] L’invocation du recours aux troupes tchétchènes sert donc à alimenter la peur au sein de la population ukrainienne », ajoute-t-elle dans une analyse sur le site The Conversation.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Des milliers de troupes tchétchènes assistent à un discours de Ramzan Kadyrov, à Grozny, le 29 mars dernier.

Au début de la guerre, quand Vladimir Poutine tablait encore sur un renversement rapide du président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, le bruit a couru qu’ils avaient pour mission de le tuer.

Ramzan Kadyrov, qui dirige la Tchétchénie, entité de la Fédération de Russie, d’une main de fer, avait alors promis que Zelensky serait bientôt « l’ancien président de l’Ukraine ».

Le dirigeant ukrainien est depuis devenu le symbole de la résistance de tout un peuple, défiant chaque jour Vladimir Poutine par ses interventions sur les réseaux sociaux, où ses partisans essaient aussi de tourner en dérision les kadyrovtsy.

Combien d’entre eux ont rallié l’Ukraine ? Un millier, assurait mi-mars leur chef, une information invérifiable de source indépendante.  

Pour le politologue russe Alexeï Malachenko, spécialiste de l’islam, « personne ne sait combien de Tchétchènes combattent en Ukraine et où ils sont déployés exactement ». Par ailleurs, d’autres Tchétchènes ont rallié le camp ukrainien.

Ce sont avant tout des spécialistes du maintien de l’ordre, ce qui ajoute à leur redoutable image de brutalité et d’arbitraire, dont les faits d’armes restent à prouver.

Ramzan Kadyrov a ainsi triomphalement annoncé la conquête par ses hommes de la mairie de Marioupol, avant de publier une vidéo où il n’était plus question que de la prise d’un bâtiment administratif de second plan.

Gage de loyauté

« Kadyrov participe à l’opération en Ukraine pour montrer qu’il est totalement loyal à l’égard de Poutine et pour conserver son influence. Pour lui, la participation à l’opération, c’est de la publicité personnelle », relève le politologue russe Konstantin Kalatchev.  

Kadyrov est lui-même soupçonné d’être derrière plusieurs assassinats d’opposants au Kremlin, dont celui de Boris Nemtsov, ainsi que de la journaliste Anna Politkovskaïa, critique du pouvoir.

PHOTO PASCAL DUMONT, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

L’opposant au Kremlin Boris Nemtsov a été assassiné le 27 février 2015, à Moscou. On le voit ci-dessus un mois avant sa mort.

Rouslan Gueremeïev, commandant des forces tchétchènes à Marioupol et soupçonné d’avoir organisé l’assassinat de Boris Nemtsov en 2015, a d’ailleurs été blessé à la fin de mars dans cette ville stratégique située sur les bords de la mer d’Azov.

En Ukraine, les kadyrovtsy pourraient aussi servir de force d’appoint pour mater les plus récalcitrants, y compris dans l’armée russe, comme ils l’avaient fait en 2014 avec certains séparatistes prorusses contestés.

L’expérience des troupes de Kadyrov pourrait représenter un atout, non seulement pour venir à bout localement de la résistance ukrainienne, mais également pour discipliner les troupes russes et leurs affidés.

Aurélie Campana, spécialiste des violences politiques et de la Russie à l’Université Laval

Les hommes de Kadyrov n’ont certes pas que des amis à Moscou. Les services gardent de la rancœur contre les séparatistes tchétchènes qui ont tenu la dragée haute à l’armée russe jusqu’à ce que celle-ci s’impose en rasant Grozny, un mode opératoire repris ces dernières semaines à Marioupol.

« Mais Poutine leur fait totalement confiance. Kadyrov dit toujours être le “fantassin” de Poutine. Pour lui, la participation à l’opération en Ukraine, c’est un succès personnel », estime Alexeï Malachenko.