(Washington) Les États-Unis et le Royaume-Uni ont réclamé lundi la « suspension » de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en réponse « aux images de Boutcha », ville ukrainienne où ont été retrouvé de nombreux cadavres après le départ des forces russes.

Un vote de l’Assemblée générale de l’ONU pour décider de cette suspension pourrait intervenir dès jeudi, selon Wahington. La Russie a réagi en qualifiant cette démarche d’« incroyable » et en jugeant qu’elle ne faciliterait pas les « pourparlers de paix » entre les Russes et les Ukrainiens.

« Nous ne pouvons pas laisser un État membre qui est en train de saper tous les principes qui nous tiennent à cœur participer au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », a tweeté l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield.

Elle s’est adressée aux 140 pays sur les 193 que compte l’ONU qui ont « déjà voté pour condamner » l’invasion russe de l’Ukraine dans une résolution de l’Assemblée générale début mars : « Les images de Boutcha et la dévastation à travers l’Ukraine nous imposent à présent de passer de la parole aux actes. »

« En étroite coordination avec l’Ukraine et les autres États membres et partenaires à l’ONU, les États-Unis vont travailler à la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », a donc indiqué la diplomate.

« On ne peut pas laisser la Russie utiliser son siège au Conseil comme outil de propagande lui permettant de suggérer qu’elle a une préoccupation légitime au sujet des droits humains », a-t-elle ajouté.

Une telle suspension ne peut être décidée que par l’Assemblée générale des Nations unies, lors d’un vote par acclamation ou à la majorité des deux tiers des États membres présents qui voteraient pour ou contre. Les abstentions ne sont pas prises en compte dans cette majorité requise, que les États-Unis comme le Royaume-Uni estiment pouvoir obtenir.

Vote jeudi ?

« Notre objectif est de le faire [le vote] aussi vite que possible – cette semaine et possiblement dès jeudi », a déclaré Linda Thomas-Greenfield lors d’un entretien avec la radio américaine NPR. Elle a estimé qu’une telle suspension serait bien plus que symbolique et irait à l’encontre du récit des évènements développé par la Russie depuis le début de la guerre.

Le Royaume-Uni a apporté son soutien à la démarche américaine.

« La Russie ne peut pas demeurer membre du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU », elle « doit être suspendue », a déclaré sur Twitter la cheffe de la diplomatie britannique Liz Truss, évoquant une « forte présomption de crimes de guerre » et les informations faisant état de « fosses communes et de tuerie atroce à Boutcha ».

Interrogé lors du point-presse quotidien de l’ONU sur la position du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres à l’égard d’une telle suspension, son porte-parole adjoint, Farhan Haq, s’est montré embarrassé.

« Nous laissons aux États membres le soin de décider », a-t-il dit. Avant d’ajouter : « Ce qui inquiète ici, c’est le précédent créé par cette action. » Pressé de questions pour clarifier sa déclaration, il a refusé d’en dire plus.

En mars 2011, l’Assemblée générale de l’ONU avait approuvé par acclamation la suspension de la Libye du Conseil des droits de l’Homme, qui siège à Genève. Il ne s’agissait pas alors d’un membre permanent du Conseil de sécurité comme l’est la Russie.

Interrogé lors d’une conférence de presse sur cette annonce américaine, l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, l’a jugée « incroyable ».

« Ce que l’Occident essaie de faire avec la Russie, en essayant de l’exclure des forums multilatéraux que nous avons dans le monde […], c’est du jamais vu », a-t-il dit. « Cela ne facilitera ni n’encouragera, ni ne sera utile, à ce qui se passe entre Russes et Ukrainiens dans les pourparlers de paix », a-t-il asséné.

Biden veut un procès pour « crimes de guerre » après Boutcha

Le président américain Joe Biden a d’ailleurs déclaré lundi vouloir un « procès pour crimes de guerre » après la découverte de nombreux corps portant des vêtements civils à Boutcha, dans les environs de Kyiv, mais a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un « génocide ».

« Nous devons rassembler les informations » et « nous devons avoir tous les détails » pour « avoir un procès pour crimes de guerre », a-t-il dit.

Interrogé pour savoir s’il pensait qu’il s’agissait là d’un « génocide », il a dit : « Non, je pense que c’est un crime de guerre ».

PHOTO LEAH MILLIS, REUTERS

Le président américain Joe Biden

Le président américain a également assuré qu’il voulait prendre « des sanctions supplémentaires » contre la Russie.

« Vous vous souvenez peut-être que j’ai été critiqué pour avoir appelé [Vladimir] Poutine un “criminel de guerre”. Hé bien la vérité […] c’est qu’il est un criminel de guerre », a-t-il encore déclaré.

Ce gars [Vladimir Poutine] est brutal, ce qui se passe à Boutcha est scandaleux et tout le monde l’a vu.

Joe Biden, président américain

« Il faut qu’il rende des comptes », a-t-il encore lancé à la presse, en arrivant à Washington après un week-end dans sa résidence familiale du Delaware.

Le président Volodymyr Zelensky s’est rendu lundi à Boutcha et il y a accusé l’armée russe de « crimes de guerre » qui seront « reconnus comme un génocide ».

Cette petite ville au nord-ouest de Kyiv a été occupée par l’armée russe dès le 27 février, restant inaccessible pendant plus d’un mois.

L’AFP y a vu samedi les cadavres d’au moins 22 personnes portant des vêtements civils dans des rues. L’une d’elles était couchée près d’un vélo et une autre avait des sacs à provisions à côté d’elle. Un cadavre avait les mains liées dans le dos.

On ne pouvait dans l’immédiat déterminer la cause de leur mort, mais deux personnes présentaient une large blessure à la tête.

Moscou a pour sa part démenti avoir tué des civils à Boutcha, le Kremlin et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov évoquant des « falsifications » et mises en scène à destination de la presse.