« Génocide ». Le qualificatif a été employé dimanche par le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, après que des centaines de corps de civils ont été retrouvés dans la région de Kyiv, jusqu’à récemment sous occupation russe.

« Oui, c’est un génocide. L’élimination de toute la nation et des gens. […] Et cela se passe dans l’Europe du XXIsiècle », a dénoncé le président Zelensky à la chaîne américaine CBS.

Telle une vague, l’armée russe s’est retirée dans les derniers jours du nord de l’Ukraine, mettant à nu des scènes de grande violence. Exécutions sommaires, exactions, viols : ce sombre tableau ajoute une nouvelle couche aux atrocités vécues par les civils en Ukraine depuis 39 jours.

C’est notamment le cas à Boutcha, ville située à une trentaine de kilomètres de Kyiv, où des journalistes de l’Agence France-Presse ont vu les corps de dizaines de personnes abandonnés dans les rues depuis des jours, certains avec les mains attachées dans le dos. Les images ont provoqué l’indignation partout sur la planète. Dimanche, la procureure générale de l’Ukraine a fait état de 410 civils retrouvés sans vie dans la région de Kyiv.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les corps de civils ukrainiens vraisemblablement tués par des troupes russes, dont l’un ayant les mains attachées, gisent dans une rue de Boutcha, non loin de Kyiv.

Une scène d’horreur qualifiée de « massacre délibéré » par le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, qui a fait appel à la communauté internationale.

Les Russes veulent éliminer autant d’Ukrainiens qu’ils le peuvent. Nous devons les arrêter et les mettre dehors. J’exige de nouvelles sanctions dévastatrices du G7 MAINTENANT.

Dmytro Kouleba, ministre ukrainien des Affaires étrangères, sur Twitter

Dans un nouveau rapport, l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) a aussi documenté des cas de viols, d’exécutions et de pillages dans les régions de Tchernihiv, de Kharkiv et de Kyiv. Ces actions pourraient ressembler à des « crimes de guerre », y est-il indiqué.

Consultez le rapport (en anglais)

« Ce qu’on découvre dans le village de Boutcha et dans les zones avoisinantes, c’est ce qui se fait déjà partout, dans les zones occupées [par la Russie] », assène Dominique Arel, directeur de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. « Et ce qui va continuer de se passer. »

L’Occident s’indigne

Les découvertes macabres à Boutcha ont rapidement été dénoncées sur la scène internationale. « Ces images sont un coup de poing à l’estomac », a réagi le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, sur la chaîne CNN.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a qualifié les images de « brutalité inédite en Europe depuis des décennies ». En France, le président Emmanuel Macron a soutenu que « les autorités russes devront répondre de ces crimes ».

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a condamné sur Twitter les meurtres « choquants et horrifiants » à Boutcha.

Nous restons mobilisés pour faire rendre des comptes au régime russe.

Justin Trudeau, premier ministre canadien, sur Twitter

Le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, a aussi qualifié de « crimes de guerre » les « attaques abjectes » de la Russie.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est dit « profondément choqué », avant de réclamer « une enquête indépendante ».

De nouvelles sanctions pourraient bientôt s’abattre sur la Russie : « Nous déciderons de nouvelles mesures entre Alliés dans les prochains jours », a assuré le chancelier allemand, Olaf Scholz, dimanche.

Visés systématiquement

La définition d’un génocide exige l’élimination systématique de personnes pour leur appartenance à un certain groupe, explique Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill, spécialisée en post-soviétie. « On commence à voir des éléments qui ressemblent à cette définition, indique-t-elle, parce qu’il y a des preuves que des personnes ont été tuées avec les mains nouées, par exemple. »

Selon Dominique Arel, les hommes de 16 à 60 ans qui ne faisaient pas partie des forces ukrainiennes ont été ciblés, dans une « logique d’élimination systématique de quiconque pouvant résister à l’occupation ».

Mais le fait que des civils participent à la défense de l’Ukraine pourrait aussi avoir donné des munitions à la Russie, relève François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Dans des conflits comme celui-là, où l’Ukraine a mobilisé des civils, il ne faut pas se surprendre que la Russie ait utilisé ce prétexte-là », déplore-t-il.

PHOTO RODRIGO ABD, ASSOCIATED PRESS

Une fosse commune découverte à Boutcha, où les corps de civils ukrainiens gisent après le passage des troupes russes.

Or, d’autres personnes, comme des professeurs de langue ukrainienne, ont aussi été visées parce qu’elles contribuent à « construire la nation ukrainienne », soutient Mme Popova.

Si ces suppositions sont confirmées, on ne parle plus seulement de crime de guerre, mais bien de génocide.

Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill

Par ailleurs, ce ne serait pas la première fois que la Russie commet des crimes de guerre, rappellent les experts joints par La Presse. Il faut penser à la Tchétchénie, dans les années 1990, ou aux forces soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. « Il ne s’agit pas d’un soldat qui s’est dévoyé, affirme Mme Popova. Il est possible que ce soit de cette façon-là que la Russie fait la guerre. »

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des gens réagissent à la découverte d’une fosse commune à Boutcha.

« Ça nous montre finalement une armée indisciplinée, criminelle, qui semble agir avec un sentiment d’impunité », renchérit Dominique Arel.

Incidence sur les négociations ?

L’impact des macabres découvertes pourrait se répercuter jusque dans la salle de négociations entre la Russie et l’Ukraine, estime Mme Popova. « Comment le gouvernement ukrainien pourrait-il arriver à un compromis [concernant les territoires de l’est du pays, sur lesquels la Russie a décidé de se concentrer], tout en sachant ce qui va arriver aux gens qui vivent sur les territoires ? », se demande la professeure.

« Si l’armée russe entre à Marioupol, on sait déjà ce qui va arriver, affirme Dominique Arel. Parce qu’on voit ce qui est arrivé, à plus petite échelle, dans les villes en train d’être libérées. C’est l’horreur. »

En une phrase, résume Maria Popova : « Il n’y a pas de corrélation directe entre se rendre aux Russes et sauver des vies. »

Avec l’Agence France-Presse