(Berlin) Matériel vétuste, fonctionnement bureaucratique, soldats démotivés : l’Allemagne, que l’invasion de l’Ukraine a convaincue d’investir massivement pour moderniser une armée dans un état « alarmant », a du pain sur la planche.

En mesure de défendre son territoire ?

Le constat désabusé d’un des plus hauts gradés de l’armée aux premières heures de l’invasion russe a servi d’électrochoc en Allemagne. « L’armée de terre que je dirige, est plus ou moins à sec », a admis Alfons, Mais.

Créée en 1955, la Bundeswehr est dans un état « alarmant », renchérit la commissaire à la défense au Bundestag, Eva Högl, dans son rapport annuel.

Elle ne serait même « plus capable » de remplir la fonction que lui assigne la constitution, à savoir la « défense » du pays en cas d’attaque, confirme à l’AFP le député libéral Marcus Faber, spécialiste des questions de défense, incriminant les « politiques d’austérité » menées ces dernières années.

Les exemples d’impéritie sont légion.

Dans la marine, moins de 30 % des bâtiments sont « pleinement opérationnels », selon le rapport de décembre dernier sur l’état de l’armée. Dans l’armée de l’air, un nombre élevé d’avions de transport de troupes ou de chasse sont incapables de voler.

Dans l’armée de terre, sur les 350 véhicules de combat Puma, seuls 40 sont considérés comme « aptes à la guerre ».

Les effectifs eux-mêmes ne seraient pas à la hauteur : dotée officiellement de 180 000 hommes (contre 500 000 en 1990), l’armée pâtirait en fait de milliers de postes non pourvus.

Victime de sa bureaucratie ?

La promesse du chancelier Olaf Scholz de consacrer chaque année plus de 2 % du PIB aux dépenses de défense « ne suffira pas : les structures de planification et d’acquisition doivent être modernisées », préconise Mme Högl.

L’armée souffre en effet depuis sa création d’un fonctionnement décentralisé qui laisse aux régions la mainmise sur la construction et l’entretien des bâtiments.

Résultat : les moindres travaux peuvent prendre des années.

Les exemples abondent de casernes dépourvues d’eau chaude, voire d’eau potable, manquant de sanitaires ou de prises électriques. Dans une caserne, il a fallu 23 années pour achever la réfection d’une installation.

Cette situation « ne conduit pas seulement à la frustration des soldats, mais parfois aussi à une perte de confiance dans la capacité d’action politique », résume Eva Högl dans son rapport.

L’office qui centralise les achats, basé à Coblence et qui emploie près de 10 000 personnes, concentre aussi les critiques sur sa lourdeur administrative.

« Même pour les petits achats, de pesantes procédures se sont établies au fil des ans », confirme M. Faber.

Depuis des années, la Bundeswehr patiente ainsi pour connaître le successeur du G36, le vieillissant fusil standard actuel. Plusieurs fabricants ont développé de nouvelles armes, mais la procédure s’est enlisée.

Les chasseurs alpins attendent eux depuis longtemps de nouveaux skis. Quant au renouvellement des parachutes, il a tardé à être approuvé malgré un matériel obsolète.

Pour améliorer la situation, le gouvernement envisage d’augmenter les plafonds de dépenses au-dessus desquels est nécessaire un appel d’offres.

Quelle armée pour demain ?

De premières pistes sont connues : Berlin va remplacer sa flotte vieillissante de chasseurs Tornado par des F-35 furtifs américains et des Eurofighter, d’un coût d’environ 100 millions d’euros l’unité.

L’Allemagne continue en outre de miser à plus long terme sur l’avion de combat européen (SCAF). Elle va aussi acheter des drones armés à Israël, une option rejetée par la coalition au pouvoir jusqu’à l’offensive russe.

Le Main Ground Combat System (MGCS), un nouveau char de combat européen, est également attendu, mais pas avant 2035.

L’Allemagne va aussi se doter d’un bouclier antimissiles, le « Dôme de fer » israélien, susceptible de protéger, à partir de 2025, son territoire, ainsi que la Pologne, les pays baltes et la Roumanie.

Autre nécessité : le remplacement des hélicoptères de transport vieillissants, sans doute par des Chinooks américains.

Au total, « jusqu’à huit années » devraient être nécessaires, selon M. Faber, pour « l’équipement complet de la Bundeswehr », des investissements qui ne font pas l’unanimité en Allemagne.

Quelque 600 personnalités - politiques, religieuses, artistiques, etc. - ont ainsi exprimé mardi dans une tribune leur opposition à cette « course aux armements », susceptible d’entraîner des coupes dans d’autres secteurs.