Partiellement récupéré par les candidats à la présidentielle, le mouvement n’a peut-être pas dit son dernier mot

Les gilets jaunes sont peut-être en dormance, mais Jean-Luc Mélenchon ne les a pas oubliés.

Dans un discours donné dimanche place de la République, à Paris, le candidat de gauche radicale à l’élection présidentielle a promis « d’amnistier » tous les manifestants qui ont été condamnés dans le cadre de ce mouvement social très violent, qui avait mis la France sens dessus dessous il y a trois ans.

Dénonçant « l’autoritarisme » du gouvernement, il a aussi garanti qu’après son élection, les victimes de violences policières pendant cette crise historique seraient indemnisées et reclassées. Des centaines de gilets jaunes avaient alors été blessés, parfois très gravement, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui avaient abusé de « techniques de neutralisation physique mortelles », selon M. Mélenchon.

Sauf erreur, le chef de La France insoumise est le seul candidat à la présidentielle à vouloir ouvertement réhabiliter les gilets jaunes. Ses propositions n’ont d’ailleurs pas tardé à faire réagir son adversaire à l’extrême droite, Marine Le Pen, qui s’est immédiatement opposée à toute forme de compromis.

« Il y a un certain moment où il faut faire preuve de fermeté, a répliqué la patronne du Rassemblement national à la radio. Ces gens-là, qu’ils aient été condamnés, je suis désolée de vous le dire, je trouve ça normal. »

Des enjeux repris par les partis

La campagne électorale ne se jouera sans doute pas sur ce débat. En revanche, on constate que certaines mesures portées par les gilets jaunes ont infusé dans les programmes présidentiels, signe que le mouvement n’a pas été vain, même si le volcan semble éteint.

M. Mélenchon, le premier, s’est engagé dimanche à instaurer le fameux RIC, ce référendum d’initiatives citoyennes porté aux nues par les gilets jaunes. Cette forme de démocratie directe permettrait de soumettre des projets de loi à la population qui pourrait s’exprimer au cas par cas, comme c’est le cas en Suisse notamment.

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Des gens manifestent pour l’instauration du référendum d’initiatives citoyennes (RIC), revendication des gilets jaunes, à Bordeaux, en septembre 2020.

Signe des temps : huit autres candidats ont aussi cette promesse à leur programme, quoiqu’à divers degrés. Seuls Emmanuel Macron, Éric Zemmour et la candidate d’extrême gauche Nathalie Artaud l’ignorent complètement.

La question du pouvoir d’achat, qui avait déclenché le mouvement des gilets jaunes (né en réaction à la hausse du prix de l’essence), est également sur la table.

Face à la problématique du moment en France, les différents candidats proposent des solutions qui vont de l’augmentation du salaire minimum à la diminution des charges patronales en passant par l’encadrement des prix de l’énergie, qui sont en train d’exploser.

Mais selon Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble, ces promesses ne concernent qu’à moitié les revendications initiales des gilets jaunes.

« Les gilets jaunes étaient des gens de petite classe moyenne qui rejetaient la fiscalité jugée excessive de l’État, résume-t-il. Alors que là, on s’adresse plutôt aux catégories populaires qui, en dehors du prix de l’essence, s’inquiètent pour le prix des pâtes ou du pain. C’est l’inflation, le coût de la vie en général. Le contexte économique actuel », explique l’expert.

Une victoire symbolique

Ancien gilet jaune et auteur du livre Une année en jaune, Fabrice Grimal se réjouit évidemment de voir quelques idées du mouvement se perpétuer à travers les propositions des candidats. Surtout que les gilets jaunes, faute de leaders et par méfiance du système, ne se sont jamais transformés en parti politique.

Mais il considère que cette récupération est surtout le résultat d’une « victoire symbolique ». Car dans les faits, le mouvement s’est, selon lui, soldé par un échec.

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Fabrice Grimal, ancien gilet jaune et auteur du livre Une année en jaune

« Des centaines ont croupi en prison. Des centaines ont été blessés. Tout ça pour quoi ? Pour rien. Politiquement, rien n’a changé. Le système est de pire en pire », lance cet entrepreneur, qui a lui-même tenté d’être candidat à l’élection présidentielle mais a dû se retirer, faute de parrainages.

Le mouvement n’est pas mort pour autant. La crise de la COVID-19 a clairement montré que l’étincelle pouvait se rallumer à tout moment.

Nombre de manifestants anti-passeport sanitaire qui se sont mobilisés dans le « convoi de la liberté », en février, n’étaient autre que des gilets jaunes recyclés.

« C’était le deuxième souffle, complètement », lance Fabrice Grimal.

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Manifestants soutenant le « convoi de la liberté », à Longueau, en février dernier

Rien n’exclut, du reste, que l’actualité récente relance la grogne. Le prix du gaz a grimpé en flèche depuis janvier, celui de l’essence est monté à plus de 2 euros à la pompe (environ 3 $), et les factures augmenteront vraisemblablement à la suite des sanctions françaises contre la Russie, qui exporte une partie de son gaz et de son essence dans l’Hexagone. Bref, il ne suffirait peut-être que d’une étincelle.

« Ce mouvement peut renaître, estime Christian Le Bart, enseignant à l’Institut d’études politiques de Rennes et auteur du livre Petite sociologie des gilets jaunes. Le problème du coût de la vie n’est pas réglé, loin de là, et on peut très bien avoir un renouveau, soit avec les mêmes, soit avec d’autres. D’autant que les gilets jaunes ont laissé une empreinte assez forte dans l’opinion publique, mais finalement assez positive, malgré les violences… »

C’est tout ce que souhaite Fabrice Grimal, qui ne cache ni son mépris ni son désir de vengeance à l’endroit d’Emmanuel Macron. Selon lui, le président de la République a très mal géré la crise des gilets jaunes, que ce soit en termes de violences policières ou de négociations bidon.

« Ça a transformé des mecs qui n’étaient pas politisés. Ça les a transformés en durs à cuire. Le noyau est là. Je sais que si demain ça reprend, on est les patrons. On est organisés. Sans leaders, mais organisés. La révolution se fait avec une dose de spontanéité. Ça ne prendrait pas grand-chose… »