Les pourparlers engagés pour mettre fin à l’invasion de l’Ukraine sont futiles alors que les troupes russes multiplient les crimes de guerre en bombardant des civils sans défense, accusent de nombreux pays occidentaux.

Les États-Unis ont notamment affirmé jeudi que le président russe Vladimir Poutine n’avait nullement l’intention de mettre un terme à l’offensive militaire lancée il y a trois semaines et qu’à l’évidence, il négociait de mauvaise foi.

« Les actes que l’on voit la Russie commettre chaque jour, pratiquement à chaque minute de chaque jour, sont en contradiction totale avec tout effort diplomatique sérieux pour mettre un terme à la guerre », a dénoncé le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

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Antony Blinken, secrétaire d’État américain

Une série d’attaques touchant des écoles, des hôpitaux ainsi qu’un théâtre de la ville de Marioupol où des centaines de personnes s’étaient réfugiées indiquent que Moscou cherche « intentionnellement » à faire des victimes civiles, a accusé M. Blinken.

La France est aussi d’avis que le Kremlin joue un double jeu. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré au quotidien Le Parisien que le président russe faisait « semblant de négocier » en utilisant une stratégie éprouvée par le passé en Tchétchénie et en Syrie.

[Cette approche prévoit] des bombardements indiscriminés, des soi-disant “corridors” humanitaires conçus pour accuser ensuite l’adversaire de ne pas les respecter et des pourparlers sans autre objectif que de faire semblant de négocier.

Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères de la République française

La Russie assure pour sa part qu’elle investit une énergie « colossale » pour tenter d’en arriver à une solution négociée et se targue d’être mieux intentionnée à ce sujet que le gouvernement ukrainien.

Le ministre de la Défense de l’Ukraine Oleksii Reznikov, qui mène l’équipe de négociations du pays, a indiqué que des progrès techniques avaient été enregistrés, mais que toute avancée véritable devrait passer par l’acceptation par la Russie d’un cessez-le-feu.

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Oleksii Reznikov, ministre de la Défense de l’Ukraine

De nombreux médias ont indiqué que des discussions étaient en cours notamment au sujet de la « neutralité » future de l’Ukraine, un concept mal défini qui sert d’« écran de fumée » aux exigences réelles de la Russie, souligne Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa.

Selon le chercheur, le terme « neutralité signifie, dans “la réalité alternative” de Vladimir Poutine, que l’Ukraine devrait non seulement demeurer hors de l’OTAN, mais aussi se priver de tout soutien de la part de pays membres de l’alliance militaire pour assurer sa défense à l’avenir, une avenue inacceptable pour Kyiv ».

Les pourparlers ne donneront pas de résultats à court terme puisque la Russie « ne se sent pas assez affaiblie pour s’asseoir et négocier » et préfère intensifier ses frappes, y compris contre des civils, dans l’espoir de faire plier le gouvernement ukrainien, note M. Arel.

Une aide accrue réclamée

L’Organisation des Nations unies estime qu’au moins 726 civils, dont 52 enfants, ont été tués jusqu’à maintenant et prévient que le total réel est sans doute nettement plus élevé.

Jeudi, des tirs russes ont fait au moins 27 morts jeudi à Merefa, dans la région de Kharkiv, dans le nord-est du pays, alourdissant encore le bilan.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky ne cesse de réclamer une aide accrue de la part des pays occidentaux pour « arrêter la guerre », multipliant les interventions par visioconférence devant des élus.

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Le président Volodymyr Zelensky s’est adressé jeudi aux élus du Bundestag, en Allemagne.

Il s’est adressé jeudi aux élus du Bundestag, en Allemagne, dans l’espoir notamment d’obtenir l’aménagement d’une zone d’exclusion aérienne, catégoriquement exclue par l’OTAN, des armes supplémentaires et une intensification des sanctions économiques contre la Russie.

Les États-Unis avaient annoncé mercredi leur intention de bonifier leur aide militaire à Kyiv, notamment avec le transfert de systèmes de défense antiaérienne susceptibles d’aider les forces ukrainiennes à contrer l’action de l’aviation russe.

Washington intensifie par ailleurs son offensive diplomatique pour contribuer à isoler encore plus la Russie, qui est économiquement fragilisée par une série de sanctions ayant permis notamment de geler une partie des actifs de la banque centrale russe.

Le rôle de la Chine

Une grande attention est accordée à la Chine et au président Xi Jinping, qui avait signé juste avant les Jeux olympiques une longue déclaration commune avec Vladimir Poutine évoquant « l’amitié sans limites » entre les deux pays.

Le président américain Joe Biden doit parler vendredi avec son homologue chinois et le prévenir que toute aide offerte à Moscou en lien avec le conflit ukrainien risque de mener à des sanctions. Les services de renseignement américains affirment que Pékin se serait notamment dit prêt à offrir des armes au régime russe, qui nie avoir fait une telle demande.

Frédéric Lasserre, spécialiste de l’Asie rattaché à l’Université Laval, souligne qu’il serait surprenant que le gouvernement chinois pose un tel geste à ce stade puisqu’il risquerait de « dégrader davantage ses relations avec les pays occidentaux » et de nuire à ses intérêts économiques.

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Xi Jinping, président de la Chine

Xi Jinping, dit le chercheur, veut maintenir ses liens avec Vladimir Poutine et refuse en conséquence de le condamner pour l’invasion de l’Ukraine. Mais il veut aussi préserver des relations raisonnablement bonnes avec les États-Unis et l’Europe pour soutenir ses projets de développement, dont les « nouvelles routes de la soie », un important projet d’infrastructures.

Les mises en garde de Washington sont accueillies officiellement avec hostilité par les représentants de la Chine, qui estiment n’avoir aucune leçon de bonne conduite à recevoir.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Chine, Zhao Lijian, a semblé vouloir blâmer les États-Unis jeudi pour la crise ukrainienne en rappelant que les pays ayant soutenu l’expansion territoriale de l’OTAN vers l’est « devraient vraiment se sentir en position inconfortable » dans la situation actuelle.

Il a raillé par ailleurs l’étendue des sanctions appliquées contre la Russie en lançant que « même les chats, les chiens et les arbres » du pays étaient visés.

Ces interventions publiques visent à signifier haut et fort que « le pays est totalement souverain » et fixe sa politique à l’égard de l’Ukraine indépendamment de ce que souhaitent les États-Unis, note M. Lasserre, qui souligne le caractère délicat des efforts diplomatiques américains.

« Plus ils vont faire pression pour que la Chine ne livre pas d’armes à la Russie, plus ils vont l’encourager à le faire », prévient-il.

En savoir plus
  • Plus de 3 millions
    Nombre d’Ukrainiens qui ont pris les routes de l’exil, en grande majorité vers la Pologne
    Source : Agence France-Presse
  • 108
    Nombre d’enfants tués en Ukraine depuis le début de l’invasion russe
    Source : Parquet général ukrainien
  • 7000
    Nombre de soldats russes morts sur le champ de bataille en trois semaines, selon les estimations du renseignement américain
    Source : The New York Times
  • 80 %
    Proportion du parc de logement de Marioupol qui a été détruit. La situation est « critique » avec des bombardements russes « ininterrompus » et des destructions « colossales ».
    Source : estimations de la mairie de Marioupol