(Kyiv) L’offensive russe en Ukraine s’est intensifiée mardi, avec une série de frappes sur Kyiv, où trois premiers ministres européens se sont rendus, en signe de solidarité avec la ville assiégée.

Des pourparlers russo-ukrainiens visant à arrêter le bain de sang doivent reprendre mercredi, après une concession importante du président ukrainien Volodymyr Zelensky, prêt à renoncer à adhérer à l’OTAN.

Un geste qui semble toutefois insuffisant pour le président russe Vladimir Poutine, selon un communiqué publié par le Kremlin à l’issue d’un entretien qu’il a eu mardi avec le président du Conseil européen, Charles Michel.

Lors de cette conversation, M. Poutine « a souligné que Kyiv ne manifestait pas d’engagement sérieux à trouver des solutions mutuellement acceptables », selon ce communiqué.

Le président russe a justifié en partie l’invasion de l’Ukraine par la crainte de voir l’ex-république soviétique rejoindre l’alliance militaire occidentale, qu’il considère comme une menace existentielle pour la Russie.

« Les réunions continuent. D’après ce que l’on m’a dit, les positions dans les négociations semblent plus réalistes. Cependant, il faut encore plus de temps pour que les décisions soient dans l’intérêt de l’Ukraine », a déclaré de son côté mardi soir le président ukrainien.

Au moins quatre personnes ont été retirées mortes et une quarantaine d’autres dégagées vivantes d’un immeuble d’habitation d’un quartier ouest de Kyiv, Sviatochine, après une frappe russe qui a provoqué un incendie, selon les autorités locales.  

La veille, à la limite nord-ouest de la capitale, deux journalistes, l’Irlandais Pierre Zakrzewski, caméraman rôdé aux zones de guerre travaillant pour Fox News, et l’Ukrainienne Oleksandra Kuvshinova qui l’accompagnait, ont été tués, tandis qu’un journaliste britannique de Fox News, Benjamin Hall, a été grièvement blessé, selon la chaîne de télévision américaine et des médias ukrainiens. Le journaliste américain Brent Renaud avait déjà péri dimanche dans la banlieue nord-ouest.

Kyiv vit « un moment dangereux et difficile », a jugé mardi son maire Vitali Klitschko, décrétant un couvre-feu de 20 h (18 h GMT) à jeudi 7 h (5 h GMT).

De longues files d’attente se sont formées pendant la journée devant les supermarchés, les habitants faisant des réserves.

« Nous tenons le coup », a assuré l’un d’eux, Vlad Volodko, 26 ans. Kyiv, que les forces russes tentent d’encercler, s’est vidée d’au moins la moitié de ses 3,5 millions d’habitants depuis le début du conflit le 24 février.

Mykola Vasylinko, un réfugié de 62 ans, trouvait la situation supportable : « Nous sommes venus de Tchernihiv [150 km au nord de Kyiv], la situation y est bien pire », car les Russes « ont essayé de l’effacer de la surface de la Terre ».

À Marioupol, autre ville martyre dans le sud-est de l’Ukraine, la situation reste très difficile, mais quelque 20 000 civils ont pu la quitter mardi à bord de 4000 voitures, selon la présidence ukrainienne. Mais jusqu’à 300 000 personnes y restent coincées, terrées dans des caves et privées de tout.

« C’est la première fois que je peux respirer depuis des semaines », a déclaré Mykola, père de deux enfants, au volant de sa voiture où s’entassaient pêle-mêle couvertures, chaussures et autres possessions hâtivement embarquées. Sa famille fait partie des quelques milliers de personnes arrivées mardi à Zaporijie, 250 km au nord-ouest de Marioupol.

Au total, environ 29 000 personnes ont été évacuées mardi de plusieurs villes ukrainiennes assiégées, selon la même source.

« Nous serons avec vous »

Les premiers ministres polonais Mateusz Morawiecki, tchèque Petr Fiala et slovène Janez Jansa, partis de Pologne en train, sont arrivés mardi soir à Kyiv pour affirmer « le soutien sans équivoque » de l’Union européenne à l’Ukraine.

Ils se sont entretenus avec le président Zelensky et son premier ministre Denys Chmygal.  

« Nous ne vous laisserons jamais seuls. Nous serons avec vous parce que nous savons que vous vous battez non seulement pour votre liberté […], mais aussi pour nous », a tweeté Mateusz Morawiecki.

Le vice-premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski, également du voyage, a réclamé une « mission de paix » de l’OTAN, « protégée par les forces armées », pour « fournir une aide humanitaire et pacifique en Ukraine », selon l’agence polonaise PAP.

Alliée de l’Ukraine et membre de l’OTAN, la Turquie, qui a refusé de s’aligner sur les sanctions occidentales contre la Russie, multiplie également les efforts de médiation. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu est à Moscou, où il aura des entretiens mercredi, puis ira en Ukraine jeudi afin de rechercher un cessez-le-feu, selon Ankara.

Trois millions de réfugiés

En attendant l’issue des négociations, la Russie élargit son offensive à l’ensemble de l’Ukraine, visant désormais aussi l’Ouest.

Après des frappes sur une base militaire proche de la Pologne dimanche, une frappe lundi contre une tour de télévision près de Rivne (nord-ouest) a fait 19 morts, selon les autorités locales mardi.

Les combats se rapprochent aussi de la grande ville stratégique de Dnipro (centre). Son aéroport a été bombardé et largement détruit dans la nuit de lundi à mardi, a souligné son maire.

Plus à l’ouest, Mykolaïv, dernier verrou sur la route d’Odessa, sur la mer Noire, est aussi régulièrement bombardée.  

Dans une maternité de la ville, les femmes, à chaque alerte, descendent au sous-sol, où une salle d’accouchement a été aménagée. « C’était un lieu utilisé par les plombiers, les techniciens. Il y a quatre ou cinq jours, nous avons eu deux femmes qui ont accouché simultanément dans cette pièce », a raconté le médecin-chef, Andriy Hrybanov.

En presque trois semaines de guerre, plus de trois millions de personnes ont fui l’Ukraine, majoritairement vers la Pologne, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Dont 1,4 million d’enfants, soit « pratiquement un enfant par seconde », selon l’UNICEF.

Un sommet extraordinaire de l’OTAN consacré au conflit est prévu le 24 mars à Bruxelles, ainsi qu’un sommet des dirigeants de l’UE. Le président américain Joe Biden s’y rendra pour réaffirmer « l’engagement à toute épreuve » des États-Unis auprès de leurs alliés, selon la Maison-Blanche.

Irruption télévisée

En Russie, dans un rare moment de protestation publique, une femme, Marina Ovsiannikova, a fait irruption lundi soir sur le plateau d’une grande chaîne de télévision russe pour laquelle elle travaillait, avec une pancarte critiquant l’offensive en Ukraine.

« Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment ici », pouvait-on y lire.  

La protestataire a été arrêtée, le Kremlin dénonçant un acte de « hooliganisme ».  

Mardi, au cours d’une audience judiciaire pas directement liée à son action télévisée, mais à une vidéo qu’elle avait diffusée sur l’internet, elle a rejeté toute culpabilité.

« Je reste convaincue que la Russie commet un crime […] et qu’elle est l’agresseur de l’Ukraine », a-t-elle calmement affirmé. Elle a été condamnée à 30 000 roubles d’amende (environ 250 euros), puis libérée.  

L’utilisation du mot « guerre » par des médias ou des particuliers pour décrire l’intervention russe en Ukraine est passible de poursuites et de lourdes peines. Les autorités russes parlent d’« opération militaire spéciale ».

Nouvelles sanctions

Parallèlement, les Occidentaux continuent à durcir leurs sanctions contre la Russie.  

Un quatrième train de mesures punitives de l’UE est entré en vigueur mardi, qui interdisent notamment l’exportation en Russie de berlines de luxe, champagne, bijoux et autres articles haut de gamme prisés par les élites qui soutiennent Vladimir Poutine.

Londres a aussi décidé de nouvelles sanctions, dont des droits de douane punitifs sur la vodka, une interdiction d’exporter des produits de luxe vers la Russie et des gels d’avoirs de plus de 370 personnes et entités russes.

Et le Trésor américain a annoncé de nouvelles sanctions visant le président biélorusse Alexandre Loukachenko, ainsi que des personnes et une entité russes.

La Russie a pour sa part adopté mardi pour la première fois des contre-sanctions, visant le président américain Joe Biden, le premier ministre canadien Justin Trudeau et plusieurs membres de leurs gouvernements, a fait savoir le ministère russe des Affaires étrangères. Aucun détail sur ces mesures n’a été donné.

La Russie a par ailleurs annoncé mardi avoir « notifié » son retrait du Conseil de l’Europe. Cette organisation dédiée à la défense des droits humains menaçait de l’exclure jeudi de ses rangs.