(Paris) Du « no comment » au « changez de métier ! » Au procès des attentats du 13-Novembre, les réponses elliptiques du principal accusé Salah Abdeslam ont irrité les parties civiles et provoqué des tensions inédites en six mois d’audience, jusqu’à entraîner une suspension des débats.

Il est environ 18 h quand une nuée de robes noires se lève d’un coup dans le prétoire. Les avocats de la défense quittent la salle.

« La sérénité des débats est compromise », justifie l’un des avocats de Salah Abdeslam, Me Olivia Ronen. Elle venait de demander, en vain, que la série d’incidents qui avait causé une première interruption d’audience soit formellement actée.

Au fil de plusieurs heures d’interrogatoire de son client, des questions parfois agressives des parties civiles, des évitements puis des réponses de plus en plus provocantes de l’accusé, l’ambiance s’est chargée d’électricité.

Il est étrange, note par exemple Me Sylvie Topaloff, que les allers-retours pour récupérer des membres de la cellule djihadiste en Europe, contestés par Salah Abdeslam, soient « les plus difficiles à reconnaître » : le rapatriement des kamikazes du Stade de France et du Bataclan.

« C’est une façon de réduire votre implication. Il ne sera pas dit que vous êtes allé chercher des gens qui se sont fait sauter dans les attentats », lance-t-elle.

Silence.

« Vous avez accouché ? », lui lâche en retour Salah Abdeslam.

« Dans la merde »

Le président s’insurge, l’accusé invective l’avocate : « Ce que vous dites là, si ça rentre dans la tête de la cour, je suis dans la merde ! » Me Topaloff crie à son tour, brouhaha général.

Dans la salle d’audience, les applaudissements ironiques fusent. « 130 morts ! », hurle une partie civile. Le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Jean-Louis Périès, demande à l’accusé de « redescendre un peu ».

Quelques questions plus tard, nouvelle question offensive d’avocats des parties civiles.  La défense de Salah Abdeslam s’époumone pour réclamer le micro qui reste coupé. Nouvelle clameur collective, le président rappelle qu’il exerce seul la « police de l’audience ».

Un avocat de l’accusé, Me Martin Vettes, proteste. « Et ben alors changez de métier ! », vitupère M. Périès. Nouvelle salve d’applaudissements et de cris, le président suspend l’audience.

A la reprise, vingt minutes plus tard, Jean-Louis Périès tente de calmer le jeu et rappelle que les manifestations du public « ne sont pas admissibles ». Pas assez pour contenter la défense.

L’interrogatoire du seul membre encore en vie des attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis en 2015 avait pourtant commencé sereinement. Même si, très vite, un étrange pas de deux s’est instauré entre le président et l’accusé, questionné sur son rôle dans les préparatifs des attaques djihadistes.

La location des voitures, Salah Abdeslam, 32 ans, chemise à petits carreaux, gel dans les cheveux, masque noir sur le visage, ne les nie pas. Avec aisance, parfois à la limite de l’insolence, il reconnaît uniquement deux allers-retours pour aller chercher des « frères en islam ». « Ils vivaient en zone de guerre », justifie-t-il, un peu comme avec « aujourd’hui la guerre en Ukraine ».

S’il n’était pas le chauffeur du premier des cinq trajets qui lui sont imputés, à qui a-t-il prêté le véhicule ? Son ami d’enfance et voisin de box Mohamed Abrini ? « Moi, je dis pas de noms, je balance pas », répond Salah Abdeslam.  

« Un peu susceptible »

Le magistrat insiste, tente d’autres noms. « Je crois que vous ne m’avez pas bien entendu, Monsieur le président », persifle l’accusé. « J’ai l’impression que vous êtes un peu susceptible ».

La tension commence à monter. Aux questions précises de la cour, l’accusé répond par des « no comment » obstinés et répète qu’il ne savait rien de la « mission » de ceux qu’il allait chercher.

L’aurait-il fait s’il avait « su que ces personnes allaient participer de près ou de loin à des attentats ? », demande une assesseure, Xavière Simeoni.

« Franchement, c’est une bonne question », dit l’accusé. Il prend son temps et ajoute : « Dans l’état d’esprit dans lequel j’étais à l’époque, fêtard, j’allais me marier, je pense que je serais pas parti les chercher », même s’ils « avaient sans doute de bonnes raisons ».

Mais « aujourd’hui, vous m’avez bousillé ma vie, la France, son gouvernement. La manière dont vous m’avez traité depuis six ans, ça laisse des traces », lance Salah Abdeslam.

L’assesseure le coupe : ce ne sont pas « les réponses qu’attendent les parties civiles ». Le but du procès, « c’est la manifestation de la vérité », rétorque la défense de Salah Abdeslam.

Reprise mercredi à midi.