L’invasion en Ukraine a été précédée par une série de cyberattaques. Des sites gouvernementaux ont été paralysés. Des plateformes commerciales ont tourné au ralenti. Dès le début de la guerre, les Ukrainiens ont pris conscience de l’importance de maintenir un réseau de communication efficace.

« Avoir des applications qui peuvent fonctionner quand on est hors ligne et sans réseau, ça va devenir de plus en plus crucial à mesure que les Russes vont continuer d’avancer », a souligné dans une interview la semaine dernière Marcus Kolga, expert en communications numériques et chercheur associé à l’Institut Macdonald-Laurier, groupe de réflexion canadien.

La Russie n’a pas le contrôle sur tous les serveurs ukrainiens, rappelle Benjamin Fung, professeur à l’Université McGill et spécialiste de la cybersécurité. Mais les Ukrainiens se préparent en cas de panne, de cyberattaque ou simplement pour communiquer en tentant d’échapper à la surveillance.

Dès le début de l’invasion, les Ukrainiens ont téléchargé différentes applications : des services de messagerie comme Signal et Telegram, des cartes routières hors ligne pour fuir le pays, des plateformes de style talkie-walkie comme Zello.

D’un téléphone à l’autre

L’application Bridgefy est devenue particulièrement populaire, selon un palmarès d’Apptopia, cité par le magazine Forbes. Elle permet aux Ukrainiens de communiquer d’un téléphone à l’autre hors ligne. « Habituellement, pour communiquer par téléphone cellulaire d’une personne à l’autre, ça prend une tour, un serveur, illustre M. Kolga. Mais des applications comme Bridgefy et d’autres qui agissent comme des talkies-walkies n’ont pas besoin de tour ou de serveur. Il faut seulement être à proximité de quelqu’un d’autre qui a cette application. »

Les manifestants à Hong Kong ont utilisé cet outil en 2019 pour communiquer.

Le défaut de ces émetteurs-récepteurs modernes est qu’ils fonctionnent seulement dans un périmètre restreint. Mais si suffisamment de gens les utilisent, des applications comme Bridgefy créent un réseau sur lequel le signal peut « rebondir » d’un téléphone vers un autre tout près, jusqu’à parcourir une certaine distance, créant ainsi un « pont ».

« Ça prend beaucoup de gens et je ne peux pas commenter la sécurité, parce que je ne me suis pas penché sur ça, mais c’est une façon intéressante de pouvoir maintenir le contact », estime M. Kolga.

D’autres experts, de l’Université de Londres, par exemple, ont sonné l’alarme l’été dernier sur des failles potentielles dans la sécurité de Bridgefy.

Sécurité

Les enjeux de sécurité des différentes applications sont au cœur des préoccupations des utilisateurs. Difficile, par contre, d’avoir des garanties de ce côté.

« Évidemment, les gens essaient de faire attention le plus possible, en fonction de leur situation géographique, de la façon dont l’information peut être utilisée, de ce qu’ils font, note Gregory Asmolov, chargé de cours spécialisé en la matière au King’s College de Londres. Mais chaque application a ses vulnérabilités. Il n’y a pas une application parfaitement sûre, même s’il existe différentes options de cryptage. »

Le milliardaire américain Elon Musk a fait parvenir une cargaison de terminaux du service internet par satellite Starlink, la semaine dernière, pour aider les Ukrainiens à rester connectés. Un don qui a été à la fois salué et critiqué, notamment par John Scott-Railton, chercheur à l’Université de Toronto, qui a relevé sur Twitter les risques liés à la géolocalisation – une autre grande préoccupation des combattants ukrainiens.

Chaînes sur Telegram

L’application Telegram reste très utilisée en Ukraine. Elle permet d’envoyer des messages privés, de faire des appels, mais aussi de suivre une « chaîne » – l’équivalent d’une page sur Facebook, en quelque sorte – et d’avoir une discussion entre plusieurs participants. Elle offre des fonctionnalités de chiffrement, pour rendre pratiquement impossible la lecture des messages interceptés.

Certaines chaînes comptent des dizaines de milliers d’abonnés. Celle du grand réseau d’information britannique BBC a plus de 205 000 abonnés pour sa version en russe.

« Telegram est très populaire en Russie, en Ukraine et dans d’autres pays, donc on peut voir beaucoup de chaînes sur Telegram qui distribuent de l’information, dit M. Asmolov. Il y a des canaux pro-Russie et pro-Ukraine. »

La Russie, qui contrôle les informations sur son territoire, a menacé à plus d’une reprise de bloquer Telegram à l’intérieur de ses frontières.

« Il y avait des défis techniques pour arriver [à le fermer], et il semble que les autorités russes aient décidé que c’était en fait un outil utile pour distribuer de la désinformation et de la propagande de leur côté », explique M. Asmolov.

Aucun côté n’échappe d’ailleurs à la désinformation, puisque les réseaux comme Telegram ne revêtent pas le rôle de médias d’information, qui sont responsables du contenu.

« C’est une stratégie de guerre hybride, rappelle M. Fung. Ça comprend des cyberattaques, mais c’est aussi une guerre de l’information. »

Avec Reuters et Forbes