(Kyiv) L’Ukraine attendait mardi matin la mise en place de cessez-le-feu locaux dans plusieurs de ses villes, censés permettre l’évacuation de civils via des couloirs humanitaires, au moment où l’armée russe continue, selon Kyiv, à se déployer dans les principales zones de combat.

La Russie a annoncé lundi soir l’instauration de ces cessez-le-feu « à partir de 10 h, heure de Moscou (7 h GMT) le 8 mars » pour l’évacuation des civils en provenance de Kyiv, ainsi que des villes de Soumy, Kharkiv, Tcherniguiv et Marioupol, a indiqué dans un communiqué la cellule du ministère russe de la Défense, chargée des opérations humanitaires en Ukraine.  

Selon Moscou, les nouveaux itinéraires d’évacuation devaient être communiqués aux autorités ukrainiennes, afin qu’elles puissent donner leur accord avant 0 h GMT dans la nuit de lundi à mardi. Aucune information concernant cette réponse n’avait toutefois filtré passé ce délai.

Lundi soir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait accusé l’armée russe d’avoir fait échouer à plusieurs reprises l’évacuation des civils via les couloirs humanitaires.  

« Il y a eu un accord sur les couloirs humanitaires. Est-ce que ça a fonctionné ? Les chars russes ont fonctionné à la place, les Grad (lance-roquettes multiples, NDLR) russes, les mines russes », a déclaré M. Zelensky dans une vidéo publiée sur Telegram.

Il a accusé les forces russes d’avoir « miné la route qui avait été convenue pour apporter de la nourriture et des médicaments » dans la ville assiégée de Marioupol, dans le sud de l’Ukraine, et de « détruire les bus » devant évacuer les civils des zones de combats.

« Ils s’assurent qu’un petit couloir vers le territoire occupé soit ouvert, pour quelques dizaines de personnes. Pas tant vers la Russie que vers les propagandistes, directement vers les caméras de télévision », a poursuivi M. Zelensky, accusant Moscou de « cynisme ».

Le président ukrainien a toutefois indiqué que Kyiv continuera à négocier avec la Russie jusqu’à trouver un accord de paix.

« Je reste ici, je reste à Kyiv […] Je n’ai pas peur », a encore dit M. Zelensky.

Et selon l’état-major ukrainien, la Russie continue de déployer des soldats et équipements sur les fronts de Kyiv, de Marioupol dans le sud et de Kharkiv dans le nord-est, les principales zones de combat en Ukraine.  

La Russie a, selon lui, subi des pertes en tentant de prendre la ville d’Izioum (est) et a dû battre en retraite. « Les occupants ont fait régner la terreur dans la ville, en bombardant les locaux et les infrastructures civils », a affirmé l’état-major, qui assure par ailleurs que les forces russes sont « démoralisées ».

Et selon le Parlement ukrainien, le président Volodmyr Zelensky a ordonné le rappel de tous les militaires ukrainiens participant à des opérations à l’étranger pour renforcer l’armée nationale.

L’armée russe a continué lundi son offensive et ses bombardements, faisant notamment, selon les secours ukrainiens, treize morts dans une frappe sur une boulangerie industrielle, à Makariv, une localité située sur l’un des grands axes menant de l’ouest de l’Ukraine à Kyiv.

Au treizième jour de l’invasion déclenchée par Vladimir Poutine, l’armée russe poursuivait son avancée vers la capitale, qui s’attend à une attaque « dans les jours qui viennent », d’après le ministère ukrainien de l’Intérieur.

« Chaque maison, chaque rue, chaque poste de contrôle résistera jusqu’à la mort s’il le faut », a promis le maire de Kyiv, l’ex-champion de boxe Vitali Klitschko.

Appel de l’ONU

La situation humanitaire s’aggrave aussi de jour en jour, avec plusieurs villes assiégées où les vivres commencent à manquer.

L’ONU a « besoin de couloirs sûrs pour fournir de l’aide humanitaire dans les zones d’hostilités » en Ukraine, a dans ce contexte martelé lundi au Conseil de sécurité de l’ONU le secrétaire général adjoint des Nations unies pour les Affaires humanitaires, Martin Griffiths.

À l’issue des discussions de lundi avec la partie russe, les Ukrainiens ont évoqué « certains résultats positifs » sur les couloirs humanitaires. « On apportera une aide plus efficace aux personnes qui souffrent de l’agression de la Fédération de Russie », a déclaré Mykhaïlo Podoliak, un membre de la délégation ukrainienne.

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Une troisième session de négociations russo-ukrainiennes s’est achevée lundi soir en Biélorussie.

Sur les questions-clés, comme celles relatives à un cessez-le-feu, « des dialogues intensifs vont continuer », a-t-il ajouté.  

Moscou avait déjà annoncé lundi matin l’instauration de cessez-le-feu locaux et l’ouverture de couloirs pour permettre le départ de civils de plusieurs villes d’Ukraine – dont Kyiv et Kharkiv, la deuxième ville la plus importante, dans le nord-est – sous un feu nourri depuis plusieurs jours.

Mais l’Ukraine a refusé d’évacuer les civils vers la Russie – quatre des six couloirs proposés par les Russes allaient vers ce pays ou son voisin et allié biélorusse.

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Un homme empile des sacs de sable pour protéger l’entrée d’une station de métro de Kyiv.

Dans un échange avec le président du Conseil européen, Charles Michel, Vladimir Poutine a accusé les « bataillons nationalistes ukrainiens d’entraver (les évacuations) en recourant aux violences et à diverses provocations ».  

Le président français Emmanuel Macron a pour sa part dénoncé « le cynisme moral et politique » exprimé dans cette proposition russe d’offrir des couloirs humanitaires aux Ukrainiens pour « les amener en Russie ».

« À court d’argent »

À Irpin, la dernière ville-verrou avant Kyiv en arrivant de l’ouest, 10 000 personnes ont défilé ces derniers jours sur une improbable planche de bois, à moitié enfoncée dans l’eau, pour fuir les bombardements.  

PHOTO DIMITAR DILKOFF, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un soldat aide une femme à franchir un pont à Irpin.

Le pont de béton, béant au-dessus de la rivière, a été détruit par les forces ukrainiennes pour empêcher le passage des blindés russes.  

Enfants, personnes âgées – certaines portées sur des tapis servant de brancard– et familles abandonnent poussettes, valises trop lourdes pour s’engouffrer dans les cars et les camionnettes.

« Je suis si heureuse d’avoir réussi à passer, ça va aller maintenant », dit Olga, 48 ans, qui a emprunté cet itinéraire avec ses deux chiens.

Odessa, sur les bords de la mer Noire, est aussi de plus en plus menacée. Des familles affolées ont confié de vieux parents malades, trop faibles pour fuir la cité portuaire, au monastère Archangelo Mikhailovsky, aux coupoles dorées et grises, a constaté l’AFP.

Les Ukrainiens continuent aussi à prendre massivement la route de l’exil. La guerre a déjà poussé plus de 1,7 million de personnes à se réfugier dans les pays voisins, selon l’ONU.

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Un pompier tient le bébé d’une réfugiée arrivée à la frontière roumano-ukrainienne, à Siret, en Roumanie.

L’Europe peut s’attendre à recevoir cinq millions d’exilés si les bombardements des villes se poursuivent, a estimé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, qualifiée d’« opération militaire spéciale » par Moscou, au moins 406 civils ont été tués et 801 blessés, selon le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU. Le HCR souligne cependant que ses bilans sont probablement très inférieurs à la réalité.  

« Conséquences catastrophiques »

La diplomatie tente aussi de reprendre ses droits, avec une rencontre annoncée des ministres des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, ukrainien Dmytro Kouleba et de leur homologue turc Mevlüt Cavusoglu jeudi en Turquie.  

Les espoirs de succès sont toutefois minces, Vladimir Poutine continuant de poser comme condition préalable à tout dialogue l’acceptation par Kyiv de toutes les exigences de Moscou, notamment la démilitarisation de l’Ukraine et un statut neutre pour ce pays.

Le président américain Joe Biden, le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre britannique Boris Johnson se sont de leur côté dits « déterminés à continuer d’augmenter le coût » infligé à la Russie, selon un communiqué diffusé lundi par la Maison-Blanche après une vidéoconférence.

PHOTO ADAM SCHULTZ, LA MAISON-BLANCHE VIA AP

Joe Biden s’est entretenu par visioconférence avec le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le premier ministre britannique Boris Johnson.

Un éventuel embargo sur le gaz et le pétrole russes a été évoqué à cette occasion, mais Joe Biden « n’a pas pris de décision à ce stade », a indiqué Washington.

L’Union européenne a par ailleurs déclenché lundi la procédure, longue et complexe, pour l’examen des demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie, déposées la semaine dernière, ce qui pourrait exacerber plus encore les tensions avec Moscou.