(Kyiv) Le conflit s’est aggravé vendredi en Ukraine avec l’attaque par la Russie de la plus grande centrale nucléaire d’Europe et la poursuite des bombardements dans les villes, poussant l’Occident à hausser le ton face à Moscou suite à cette « menace pour le monde ».

« Grâce à Dieu, le monde a échappé à une catastrophe nucléaire » dans la nuit, a ajouté l’ambassadrice américaine, en qualifiant cette attaque d’« irresponsable » et de « dangereuse ». « Non seulement [Vladimir Poutine] n’a pas écouté » les appels à arrêter son invasion de l’Ukraine, « mais nous venons d’assister à une nouvelle escalade dangereuse qui représente une immense menace pour toute l’Europe et le monde », a dit la diplomate.

« C’est un crime de guerre d’attaquer une centrale nucléaire », a tweeté l’ambassade américaine à Kyiv – qui a quitté la capitale ukrainienne en raison du conflit – après l’attaque nocturne contre le site de Zaporojie.

Interrogé par l’AFP pour savoir si Washington accusait ouvertement Moscou d’avoir perpétré un tel crime de guerre interdit par la Convention de Genève, le département d’État américain s’est montré un peu plus prudent.

« Cibler intentionnellement des civils ou des infrastructures civiles, comme des centrales nucléaires, est un crime de guerre, et nous étudions les circonstances de cette opération », a dit un porte-parole de la diplomatie américaine.

« Mais, au-delà de sa légalité, cet acte était un summum d’irresponsabilité, et le Kremlin doit cesser toutes les opérations près des infrastructures nucléaires », a-t-il ajouté.

Son homologue russe, Vassily Nebenzia, a rejeté les affirmations de l’Ukraine et des Occidentaux selon lesquelles Moscou est responsable de l’attaque, les qualifiant de « mensonges ». Elles font « partie d’une campagne de mensonges » à l’encontre de Moscou, a-t-il asséné.

Le diplomate russe a aussi assuré que l’Ukraine était responsable de l’incendie qui s’est déclaré ensuite sur le site nucléaire de Zaporijjia, dans le sud de l’Ukraine.

Mais les ministres des Affaires étrangères des pays du G7 ont déjà annoncé qu’ils allaient « imposer de nouvelles sanctions sévères en réponse à l’agression russe ». L’Union européenne s’y tient également prête, a indiqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

PHOTO ZAPORIZHZHIA NUCLEAR AUTHORITY VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

S’il a insisté sur la nécessité de « mettre fin » à ce conflit, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a toutefois prévenu que l’Alliance atlantique ne pouvait répondre à la demande de création d’une zone d’exclusion aérienne, pour éviter de se laisser entraîner dans le conflit.

« La seule façon d’appliquer réellement quelque chose comme une zone d’exclusion aérienne est d’envoyer des avions de l’OTAN dans l’espace aérien ukrainien et d’abattre des avions russes. Cela pourrait conduire à une guerre totale », a renchéri le secrétaire d’État américain Antony Blinken à Bruxelles, où il s’est entretenu avec les responsables de l’OTAN et des dirigeants de l’Union européenne.

Bilan invérifiable

Au nord de Kyiv, les combats se poursuivaient à Tcherniguiv, où l’Ukraine a accusé Moscou d’avoir bombardé jeudi une zone résidentielle et des écoles, faisant 47 morts selon un nouveau bilan.

Les attaques sont de plus en plus violentes et apparemment sans discrimination contre des zones résidentielles, telles que celles de la ville d’Irpin, ont constaté des journalistes de l’AFP.

D’épais panaches de fumée noire couvraient des pans entiers de la banlieue nord-ouest de Kyiv, après une journée de bombardements russes quasi ininterrompus.

La ville voisine de Boutcha est devenue un cimetière pour les blindés russes qui tentaient de pénétrer dans la capitale la semaine dernière.

À quelque 350 km à l’est de Kyiv, la situation est aussi devenue « un enfer » à Okhtyrka, et elle est « critique » à Soumy, selon les autorités. À Kharkiv, les bombardements sont restés intenses. La situation humanitaire à Marioupol est « terrible » après 40 heures de bombardements ininterrompus, a déclaré à la BBC le maire adjoint de la ville, Sergueï Orlov.

Le bilan est impossible à vérifier de manière indépendante.

L’ambassadeur russe à Genève (Suisse), Guennadi Guatilov, a affirmé qu’il y avait eu « 2870 victimes côté ukrainien, 498 côté russe », citant des chiffres du ministère russe de la Défense.

L’Ukraine et des observateurs occidentaux affirment que le bilan des pertes russes est largement sous-évalué, Kyiv évoquant plus de 9000 soldats russes.  

De son côté, lors du débat devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, l’ambassadrice ukrainienne Yevheniia Filipenko a déclaré que « des milliers de civils innocents ont perdu la vie ».

Le président russe Vladimir Poutine a assuré que les forces russes ne bombardaient pas Kyiv et les grandes villes ukrainiennes, qualifiant de « grossière fabrication de propagande » les informations sur les destructions menées par Moscou.

Mais vendredi matin, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, une résolution en faveur d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits humains et du droit humanitaire en Ukraine a été votée à une écrasante majorité.

L’organisation américaine Human Rights Watch (HRW) a notamment affirmé qu’à Kharkiv, les forces russes avaient fait usage le 28 février d’armes à sous-munitions, dont l’emploi pourrait constituer un crime de guerre.

De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) a mis en garde contre l’imminence d’une crise alimentaire dans les régions affectées par la guerre en Ukraine.

Dans les villes tombées sous contrôle russe, des images montraient des civils à la recherche de nourriture.

Un troisième round de négociations avec la Russie se profile pour ce week-end, a déclaré l’un des négociateurs ukrainiens, Mykhaïlo Podoliak.

Mais le dialogue n’est possible que si « toutes les exigences russes » sont acceptées, a averti Vladimir Poutine, notamment un statut « neutre et non nucléaire » pour l’Ukraine et sa « démilitarisation obligatoire ».

En attendant, une responsable du Pentagone a annoncé vendredi que « du matériel pour un montant de 240 millions de dollars, y compris certains des équipements les plus indispensables comme les équipements anti-blindés », avait été remis aux forces ukrainiennes « à plusieurs endroits ».

Facebook bloqué

En Russie, le Kremlin a durci sa répression de toutes les voix dissidentes face au conflit.

Depuis le début de l’offensive le 24 février, arrestations, fermetures des rares médias indépendants restants et nouveaux textes répressifs s’enchaînent, alors que le Kremlin et les grands médias russes présentent le conflit comme « une opération militaire spéciale ».

Vendredi, les autorités russes ont restreint l’accès aux sites de plusieurs médias indépendants : l’édition locale de la BBC, la radiotélévision internationale allemande Deutsche Welle, le site indépendant Meduza (basé à Riga, en Lettonie), Radio Svoboda, antenne russe de RFE/RL, et Voice of America.

Vladimir Poutine a également signé une loi prévoyant jusqu’à 15 ans de prison pour toute personne publiant des « informations mensongères ».

PHOTO ANDREY GORSHKOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vladimir Poutine

L’agence Bloomberg News et la BBC (radiotélévision publique britannique) ont annoncé suspendre temporairement l’activité de leurs journalistes, et la chaîne américaine d’informations CNN la diffusion de ses programmes en Russie.

Le régulateur russe de l’internet, Roskomnadzor, a par ailleurs bloqué Facebook et restreint l’accès à Twitter, selon les agences Ria Novosti et Interfax.

Mobilisation

Plus de 1,2 million de réfugiés ont déjà fui l’Ukraine, selon le dernier décompte de l’ONU, suscitant une forte mobilisation notamment dans les pays frontaliers.

Les pays du G7 ont réclamé vendredi la mise en place « rapide » de couloirs humanitaires en Ukraine pour faciliter l’évacuation des civils et permettre l’accès des « organisations d’aide » des Nations unies et du « personnel médical ».

Mais on ignorait si ces couloirs, que des négociateurs russes et ukrainiens ont convenu d’organiser lors d’un deuxième round de négociations, se mettaient en place.

PHOTO ATTILA KISBENEDEK, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des réfugiés ukrainiens dans une école de Hongrie.

Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira une nouvelle fois en urgence lundi à 15 h (20 h GMT) sur la crise humanitaire, selon des diplomates.

La liste des entreprises se désengageant-au moins temporairement-de Russie s’est encore allongée : le géant américain de l’informatique Microsoft a annoncé vendredi suspendre les « nouvelles ventes » de ses produits et services dans ce pays et le numéro 1 mondial du luxe LVMH la fermeture temporaire de 124 boutiques.