La classe politique française condamne à l’unisson l’agression russe… qui s’invite dans la campagne présidentielle

(Paris) Les efforts diplomatiques d’Emmanuel Macron n’ont pas suffi. Après s’être démené pour sauver la paix, le président de la République doit maintenant condamner une guerre qui se déroule aux portes de l’Union européenne.

Comme la plupart de ses homologues européens, le chef de l’État français s’est exprimé jeudi pour dénoncer l’attaque militaire « massive » de la Russie sur l’Ukraine.

Filmé devant des drapeaux de la France, de l’Ukraine et de l’Union européenne, il a déclaré dans un discours télévisé que l’opération lancée par Vladimir Poutine « portait l’atteinte la plus grave à la paix et à la stabilité dans notre Europe depuis des décennies ».

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de la République française, Emmanuel Macron, a dénoncé dans un discours télévisé l’opération lancée par Vladimir Poutine.

Le visage grave, il a ajouté que cette agression constituait un « tournant dans l’histoire de l’Europe » et de la France, sans cacher son inquiétude devant la suite des évènements.

Réaffirmant son soutien à l’Ukraine, il a brandi la menace de sanctions imminentes de la part de la France, du G7 et des autres pays membres de l’UE, qui devaient se rencontrer jeudi à Bruxelles.

« Nous serons sans faiblesses, tant militairement que sur le plan de l’énergie », a-t-il martelé, ajoutant que la Russie devra « rendre des comptes au Conseil de sécurité ».

Les candidats réagissent

Les candidats à l’élection présidentielle – dont le premier tour est prévu le 10 avril en France – ont aussi réagi à l’attaque lancée par Moscou.

La socialiste Anne Hidalgo a dénoncé un « acte brutal et criminel », tandis que l’écologiste Yannick Jadot condamnait cette « agression sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Jean-Luc Mélenchon a déploré de son côté une « initiative de pure violence manifestant une volonté de puissance sans mesure », s’alarmant des risques de « conflit généralisé ».

PHOTO CHRISTOPHE ARCHAMBAULT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean-Luc Meéenchon, candidat de la France insoumise à la présidentielle française

Même discours chez les candidats d’extrême droite, Éric Zemmour et Marine Le Pen, qui n’ont pourtant jamais caché leurs affinités avec Vladimir Poutine.

Opérant un spectaculaire virage à 180 degrés, Zemmour a condamné « sans réserve » l’attaque russe, qu’il juge « injustifiable », cinq jours seulement après avoir affiché son « scepticisme » devant ce scénario.

Même volte-face chez Marine Le Pen, qui a appelé à « la cessation immédiate des opérations militaires russes en Ukraine », après avoir flirté avec le chef de Kremlin, pendant la campagne présidentielle de 2017.

Russia Today, propagande russe

Rare note discordante dans ce concert de critiques, l’ancien candidat LR à la présidentielle, François Fillon, semblait rejeter quant à lui la responsabilité des évènements sur l’Occident.

« Depuis 10 ans, je mets en garde contre le refus des Occidentaux de prendre en compte les revendications russes sur l’expansion de l’OTAN. Cette attitude conduit aujourd’hui à une confrontation dangereuse qui aurait pu être évitée », a déclaré Fillon, qui siège depuis décembre au conseil d’administration de Sibur… un géant russe de la pétrochimie.

Conséquence directe de l’attaque russe en Ukraine : la chaîne de télévision RT (Russia Today) pourrait aussi être bannie dans l’Hexagone.

Le sénateur Laurent Lafon, président de la commission de la Culture et des Communications, a demandé jeudi la suspension du média financé par le Kremlin, le décrivant comme un « organisme officiel en France de propagande du régime russe ».

PHOTO KIRILL KUDRYAVTSEV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La chaîne de télévision RT (Russia Today) pourrait être bannie en France.

Il y a des précédents. Mercredi, le gouvernement britannique a demandé une réévaluation de la licence accordée à la branche britannique de RT, tandis que l’Allemagne a carrément interdit la chaîne sur son territoire début février. Un geste auquel Moscou avait riposté en fermant la chaîne allemande Deutsche Welle en Russie.

Des répercussions sur la campagne ?

C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un conflit armé éclate en Europe pendant une campagne présidentielle.

PHOTO SARAH MEYSSONNIER, REUTERS

Des gens se sont rassemblés jeudi sur la place de la République, à Paris, pour dénoncer l’invasion russe de l’Ukraine.

Ces derniers jours, Emmanuel Macron avait tenté par tous les moyens d’éviter le conflit en jouant les médiateurs. Son échec diplomatique sera-t-il retenu contre lui ? En début de semaine déjà, ses adversaires ne manquaient pas de souligner la naïveté et l’absence de résultats dans le dossier ukrainien chez celui qui n’a toujours pas annoncé officiellement sa candidature.

« Mais ça, c’était avant que ça pète », souligne Jean Petaux.

Selon le politologue, les évènements de jeudi déboucheront plutôt sur un « cessez-le-feu » au sein du débat politique français au sujet de Vladimir Poutine.

La raison est simple : on ne s’oppose pas au président lors d’une grave crise internationale, parce que celui-ci « représente l’intérêt de la France, de la souveraineté nationale, et que cela reviendrait à affaiblir la France ». C’est comme ça, dit-il : « Nécessité fait loi. »

Jean Petaux croit au contraire que la guerre en Ukraine pourrait favoriser Macron, qui a fait preuve de détermination dans ses efforts de désescalade, à titre de chef de l’État français et comme président temporaire de l’Union européenne.

Compliquera-t-elle par ailleurs la campagne de Le Pen et de Zemmour, pour les raisons évoquées plus haut ? L’expert en doute et penche plutôt pour une « neutralisation » générale des comportements.

« Chacun et chacune a eu des relations avec le Kremlin. Macron comme candidat. Marine Le Pen comme candidate. Mais personne n’a intérêt à mobiliser des attitudes passées à l’égard de Poutine », dans un contexte où l’« union sacrée » doit être privilégiée.

Vu la gravité des évènements, la campagne risque de toute façon d’être mise en sourdine quelques jours… avant de redécoller, l’on présume, avec la candidature officielle de Macron, dont l’annonce est prévue à la fin de la semaine prochaine.