Dans un rapport rendu public mardi, l’Académie française dénonce une « envahissante anglicisation » du français dans les communications des entreprises, mais aussi des institutions.

Les exemples sont nombreux. Air France a sa « skyteam » ; Citroën, sa « Connect Box » ; Canal+, son « My Canal » et les meilleurs programmes en « live » et en « replay » ; les magasins Carrefour ont leurs « drive piéton » ; Ma French Bank utilise des « cookies » et offre le service « Let’s Cagnotte ».

Il y a en effet, de l’autre côté de l’Atlantique, une invasion surprenante de l’anglais dans la langue courante qui étonne toujours les Québécois qui mettent les pieds en France. Cela tient en partie au fait que ce pays ne dispose pas d’outils pour contrer l’invasion du franglais comme l’Office québécois de la langue française.

C’est dans ce contexte que l’Académie française a créé, en janvier 2020, une commission composée de six académiciens – Gabriel de Broglie, Florence Delay, Danièle Sallenave, Dominique Bona, Amin Maalouf et Michael Edwards – pour étudier la communication institutionnelle depuis 15 ans. Le résultat tient en une trentaine de pages.

« La syntaxe est bousculée »

Première observation : si l’ajout de vocables étrangers se faisait à travers un processus de francisation progressive jusqu’au XXsiècle, c’est le contraire qui se produit actuellement.

L’entrée « quasi immédiate d’un nombre sans cesse croissant d’anglicismes rend désormais difficile leur assimilation et produit des effets sur la structure même de la phrase : la syntaxe est bousculée, ce qui constitue une véritable atteinte à la langue, en ce que la logique même de la pensée en est affectée, la structure analytique de la phrase française étant supplantée par celle, synthétique, de l’anglais », s’inquiète l’Académie, gardienne de la langue de Molière.

Cela se traduit notamment par la disparition des prépositions (ex. : le Manager Travaux) et par l’inversion de l’ordre des mots (ex. : un QR code).

L’amalgame qui s’effectue insensiblement entre français et “anglais” crée aujourd’hui un véritable flou grammatical qui nuit à la clarté de l’expression, occasionnant une perte de repères susceptible de mener jusqu’à une forme d’insécurité linguistique chez les locuteurs francophones.

Extrait du rapport de l’Académie française

L’Académie ajoute que cela risque de causer une double fracture linguistique, sociale et générationnelle, dans la société.

Des slogans utilisés pour attirer l’attention (« I Love Nice » ou « Only Lyon », « Maubeuge, Creative Cities », « My Loire Valley », « Alpes IsHere ») ne sont pas toujours bien compris par le public. « Sarthe me up », par exemple, est la marque de la Sarthe, dans la région Pays de la Loire. Et « Made for Sharing » est le slogan de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024.

Il y a aussi des jeux de mots retenus par des entreprises ou des institutions pour leur sonorité, mais dont la signification n’est pas évidente : « CY (« See Why »), nom donné à l’Université Cergy Paris, FUN (France Université Numérique) ou Saikle (recyclage de cycles).

L’internet et le numérique

Sans surprise, le domaine le plus fortement « anglicisé », après la mode et le sport, est celui de l’internet et du numérique.

En France, un gestionnaire de communauté est devenu un « community manager ». L’analyste de données est un « data analyst ». Le concepteur de jeu, un « game designer » et les compétences générales, des « soft skills ».

L’usage de certains mots anglais est généralisé : blog, booster, coach(ing), live, miles, smartphone, tag, cookies, hashtag, mail, newsletter… D’autres sont employés très fréquemment : box, cloud, collector, follower, low-cost, playback, podcast, tech, web, workshop, top ten, gamer/gaming, playlist, teaser. Et d’autres sont d’apparition plus récente, mais largement répandus : big data, blockchain, Fab Lab, fake news, millennials et pitch.

On constate aussi que des mots français perdent du terrain par rapport aux anglicismes correspondants, dont l’emploi n’est justifié par aucune nécessité. C’est le cas de « matcher » au lieu de concorder ou correspondre, « dispatcher » à la place de déployer ou répartir, « packaging » pour emballage, « mix » pour mélange, « fake » pour faux ou mensonger, ou encore « implémenter » pour réaliser.

Au surplus, une grande partie de ces anglicismes n’a aucune cohérence orthographique (start-up ou startups, data ou Data).

En conclusion, les académiciens notent qu’« il importe de ne pas s’accommoder complaisamment d’une uniformisation et d’une simplification excessives, de ne pas entrer dans un moule unique, se laisser entraîner vers une pensée unique ».

Consultez le rapport de l’Académie française

Quelques exemples soulevés par l’Académie française

Acces-4-All

Ce terme est utilisé dans les établissements recevant du public par la Fabrique numérique, incubateur de services numériques du pôle ministériel.

One Health

Le ministère français des Solidarités de la Santé propose le concept de One Health : « une vision unifiée de la santé publique, animale et environnementale ».

Zenway

L’application Zenway (façon zen) de la SNCF propose une recherche d’itinéraire plus intuitive.

Pickup Station

La Poste française offre une consigne « Pickup Station », qui propose une gamme complète de services pour les expéditions et les envois de colis, le « Pickup ».

Easy Life

La marque Renault facilite la vie de ses clients avec les technologies Renault EASY DRIVE et Renault EASY CONNECT, son application Renault MOBILITY et son « Showroom Digital ».

French Days

Ce sont « les jours imbattables du e-commerce français ».

Bleisure

Un mélange entre les termes « business » (affaires) et « leisure » (loisirs).

En savoir plus
  • 9
    Nombre de mois pendant lesquels s’est déroulée l’enquête sur les usages linguistiques, de mars à novembre 2020.
    Source : Académie française