(Paris) Au nom de la liberté d’informer et sept ans après l’attentat djihadiste contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, médias et associations de journalistes sont montés au créneau cette semaine en France pour soutenir une journaliste sous protection policière après un reportage sur l’islamisation dans certaines villes de France.

La présentatrice de l’émission « Zone interdite » sur la chaîne de télévision M6, Ophélie Meunier, a été menacée de mort et placée sous protection policière après la diffusion le 23 janvier d’un reportage sur le fondamentalisme. Le sujet, sensible de longue date en France, y est devenu inflammable à deux mois de l’élection présidentielle.  

Un témoin de l’émission, Amine Elbahi, jeune homme originaire de Roubaix, ville populaire du nord de la France, a fait l’objet d’une mesure similaire, pour les mêmes raisons. Il avait notamment alerté sur une association d’aide aux devoirs qui, selon lui, pourrait en fait dispenser des cours coraniques, en bénéficiant de subventions publiques.

Au moins 120 Français sous protection policière

« On est maintenant un petit club de personnes sous protection policière pour les mêmes raisons. Pour ma part, ça fait sept ans », a rappelé vendredi sur la chaîne LCI l’ancienne journaliste de Charlie Hebdo et militante Zineb El Rhazoui. Pour avoir publié des caricatures de Mahomet, l’hebdomadaire avait été victime d’un attentat islamiste en janvier 2015 qui avait fait 12 morts, le premier d’une série ayant frappé depuis le pays.

PHOTO GEOFFROY VAN DER HASSELT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ex-journaliste de Charlie Hebdo et aujourd'hui militante Zineb El Rhazoui, fait partie du club des 120 à 150 Français sous protection policière dans leur pays, parce que menacés de mort par des islamistes. On la voit ci-haut le 9 septembre 2020 au Tribunal de Paris lors du procès des attentats contre Charlie Hebdo et de l'HyperCacher, qui ont fait 17 morts en janvier 2015.

Comme Mme El Rhazoui ou le journaliste franco-algérien Mohamed Sifaoui, « 120 à 150 personnes vivraient en France sous ce régime » protégé, selon une source policière citée par le quotidien Le Monde.

Le reportage de « Zone interdite » sur l’islamisation montrait aussi des poupées sans visage en vente dans un magasin musulman de Roubaix (la vendeuse assurant que l’islam interdisait de représenter les traits humains) ou des fillettes voilées et séparées des garçons dans une école privée de Marseille (sud-est).

L’émission a provoqué des réactions très tranchées sur les réseaux sociaux. Certains y ont vu une description fidèle et alarmante de la montée de l’islamisme, d’autres une présentation alarmiste et stigmatisante de l’ensemble des musulmans.

Les réactions de soutien à la présentatrice et au témoin de l’émission n’ont pas été immédiates mais ont déferlé cette semaine.

Le gouvernement a apporté son « plein soutien » à la présentatrice, par la voix notamment de la ministre à la Citoyenneté, Marlène Schiappa.

« Libertés fondamentales »

Les sociétés de journalistes ont été nombreuses aussi à lui apporter leur appui, à commencer par celles de M6 et de la radio RTL où Ophélie Meunier travaille également, l’association de la presse ministérielle ou Reporters sans frontières.

« Informer fait partie des libertés fondamentales de notre démocratie », a souligné sur Twitter le directeur de l’information de France Télévisions, Laurent Guimier. Ce message a par ailleurs été lu dans les journaux télévisés du groupe public.

Dans un éditorial mardi, Le Monde pointait le danger de telles menaces sur « la liberté d’expression et d’information », rappelant que « sur l’islam comme sur toute autre religion, ces libertés n’ont pour limite que les lois pénales qui répriment l’injure, la diffamation, l’appel à la haine ou à la discrimination ».

Parallèlement, un débat dans le débat a émergé. Le site de critique des médias Arrêt sur images a critiqué « les méthodes » des auteurs du reportage, évoquant des « courriels et messages trompeurs » envoyés par l’équipe pour demander à des musulmans de participer au tournage.

Selon ces personnes, l’émission les avait contactées pour un sujet sur « la laïcité et le vivre-ensemble » et non sur l’islam radical.

Au nom de « la liberté de l’information », il faut « défendre Ophélie Meunier, sans ergoter », a de son côté estimé le chroniqueur Luc Le Vaillant, dans Libération. Cela « n’empêche évidemment pas de critiquer les thèses ou les méthodes de ces confrères, s’il y a lieu. Mais cela ne peut être que second », a-t-il ajouté.

« On est dans le déni du réel », a déclaré à l’AFP Richard Malka, l’avocat de la société de production Tony Comiti, qui a réalisé le reportage pour « Zone interdite ».

« Personne ne conteste, je crois, qu’il y ait eu ces poupées sans visage dans les magasins […], qu’il y ait eu ces écoles où on voile les petites filles », a poursuivi M. Malka, également avocat de Charlie Hebdo.