La Bosnie-Herzégovine est-elle de nouveau au bord du précipice, 26 ans après la fin d’un conflit sanglant ?

Le Parlement des Serbes du pays a lancé vendredi dernier un processus pour se retirer des institutions gérées par le pouvoir fédéral, faisant craindre un nouveau pas vers une sécession – et une déstabilisation de la région.

Le vote a été organisé par le leader des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik, pour statuer sur un retrait de l’entité serbe des pouvoirs gérés par le gouvernement central du pays : l’armée, l’impôt, le système judiciaire. La motion, qui accorde un délai de six mois pour l’organisation, a été adoptée avec 49 voix pour, 3 voix contre et un boycottage des 37 députés restants.

Les ambassades des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni ont immédiatement dénoncé cette « nouvelle escalade », qui « vise à créer des institutions parallèles ».

« Le nombre de fois où j’ai lu un article ou une déclaration disant que la Bosnie était au bord d’une autre guerre est assez élevé, nuance Robert Austin, spécialiste de l’Europe à l’Université de Toronto, joint par téléphone. Cette fois, ça semble un peu plus intense à cause des mesures plus draconiennes prises par le leadership [serbe] concernant sa participation dans l’État central. »

Une séparation

Depuis la fin de la guerre en 1995, la Bosnie est divisée en deux entités semi-autonomes : la Republika Srpska (RS), peuplée principalement de Serbes orthodoxes, et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, habitée majoritairement par des Bosniaques musulmans. Un cinquième de la population de la Fédération s’identifie au troisième groupe ethnique, les Croates, catholiques.

Les déclarations de M. Dodik, un fervent nationaliste, font craindre une séparation de la RS du reste de la Bosnie. Le politicien codirige le pays avec les membres bosniaque et croate de la présidence à trois têtes, Sefik Dzaferovic et Zeljko Komsic, qui s’opposent à ses vues. M. Dodik juge notamment que des réformes imposées ont affaibli le pouvoir de la RS. Il a déjà prôné un rattachement de l’entité à la Serbie voisine.

La région des Balkans occidentaux est marquée par des divisions historiques basées sur l’appartenance ethnique et religieuse. La situation en Bosnie pourrait déstabiliser d’autres communautés de la région.

Les Bosniaques, de confession musulmane, ont été les principales victimes du conflit de 1992-1995. Le spectre des massacres n’est jamais très loin : la semaine dernière, des restes humains ont encore été retrouvés à Kalinobik, de victimes du génocide de Srebrenica en juillet 1995.

« La Bosnie telle qu’elle est aujourd’hui a été créée par la guerre du début des années 90, rappelle Soeren Keil, de l’Université de Fribourg, en Suisse, au téléphone. Si la Republika Srpska est à 90 % serbe aujourd’hui, c’est à cause du nettoyage ethnique. Beaucoup de gens disent qu’on ne peut pas laisser la Republika Srpska devenir indépendante maintenant, parce que ce serait comme une récompense pour ce crime atroce. »

Plus de 100 000 personnes ont été tuées dans ce conflit.

Interventions

Les analystes jugent peu probable que le processus enclenché vendredi aboutisse véritablement à une sécession, trop risquée, d’autant plus que les accords de paix ne permettent pas une séparation unilatérale.

« La perspective du retour d’un conflit en Bosnie-Herzégovine donne suffisamment à réfléchir pour qu’on voie d’intenses interventions des États-Unis et de l’Union européenne pour l’en empêcher », note au téléphone Charles Kupchan, chercheur au Council on Foreign Relations, à Washington.

Différents pays, dont les États-Unis et l’Allemagne, ont menacé de mettre en place des sanctions. L’administration américaine avait déjà imposé un gel sur les actifs de M. Dodik.

Celui-ci a indiqué pouvoir compter sur d’autres alliés, comme la Russie.

« Dodik a le soutien de la Russie, qui est déterminée à voir la Bosnie échouer, souligne M. Austin. Et la Russie a joué un rôle très actif pour encourager la déstabilisation, les forces séparatistes, parce que le but de la Russie, et c’est plus apparent que jamais, est de s’assurer que des endroits comme la Bosnie ne soient jamais intégrés dans les structures euro-atlantiques. »

La Bosnie aspire à se joindre à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui exige des engagements et des réformes. La Russie entretient une relation tendue avec l’OTAN.

L’adhésion à l’Union européenne (UE) de la Bosnie, mais aussi de cinq autres pays des Balkans occidentaux, est également gelée depuis plusieurs années, elle aussi réclamant des réformes préalables.

Le président français Emmanuel Macron a d’ailleurs appelé l’UE à un « réengagement » dans les Balkans.

« Je pense que s’il y a un côté positif à tout ça, c’est que les risques grandissants que l’on voit dans les Balkans forcent un regain d’attention à la fois de l’Europe et des États-Unis », dit M. Kupchan, qui pense que cela pourrait mener les parties vers une solution politique plus durable.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press

3,5 millions

Population totale de la Bosnie-Herzégovine en 2013

1,2 million

Population de la Republika Srpska en 2013

Source : recensement national de 2013, chiffres reproduits par la Commission européenne