Les mouvements de troupes « inhabituels » de soldats russes près de la frontière ukrainienne inquiètent les pays occidentaux et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui multiplient les mises en garde à l’intention du président Vladimir Poutine dans l’espoir d’éviter une nouvelle offensive de sa part.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a prévenu il y a quelques jours que l’homme fort russe commettrait une « grave erreur » en s’avisant d’intervenir comme il l’a fait notamment en 2014 pour annexer la Crimée et soutenir un soulèvement de rebelles prorusses au Donbass, dans l’est du pays.

La France est intervenue à son tour lundi pour signifier à Moscou sa « volonté de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine », alors que l’Allemagne insistait sur la nécessité d’« empêcher une escalade militaire ».

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a parallèlement mis la Russie en garde contre toute « action agressive » lors d’une conférence de presse tenue en présence du ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, qui évalue à près de 100 000 le nombre de soldats russes déployés près de la frontière.

Comme il l’avait fait au printemps lors d’une opération similaire, le régime russe a renvoyé la balle à Kiev en arguant qu’il visait avec ses troupes à se protéger contre toute action « provocatrice » de la part du gouvernement du président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Lors de l’éclatement des combats dans le Donbass, la Russie avait laissé planer la possibilité d’une intervention militaire directe, mais n’était jamais passée à l’acte, préférant soutenir les insurgés par des actions plus discrètes sur le terrain qui ont contribué à la création de deux républiques autodéclarées.

La région demeure depuis aux prises avec un conflit de basse intensité, malgré la conclusion en 2015 d’un accord, aujourd’hui récusé par Kiev, qui devait conférer à ces républiques une large autonomie.

« Spectacle »

Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le déploiement de troupes russes actuel est d’abord du « spectacle » visant à faire pression sur le gouvernement ukrainien, alors que celui-ci durcit son discours à l’encontre de Moscou et presse ses alliés d’intensifier leur soutien.

PHOTO FOURNIE PAR MAXAR TECHNOLOGIES VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue aérienne d’un déploiement militaire terrestre russe dans la ville de Yelnya, le 1er novembre dernier

Une intervention massive en Ukraine demeure « improbable », d’autant plus que le régime russe « prétend depuis sept ans qu’il n’est pas là et que ce sont des acteurs locaux défendant leur territoire » qui sont responsables de l’instabilité dans l’est du pays, relève l’analyste.

Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace, pense qu’il serait périlleux de conclure que le président russe s’est résigné au statu quo.

Geste stratégique

Vladimir Poutine voit le contrôle de l’Ukraine comme un élément essentiel pour assurer à son pays une « profondeur stratégique » sur le plan militaire. Il considère par ailleurs son intégration comme une pièce centrale de la « grande Russie » qu’il veut laisser en héritage, souligne l’analyste.

Les avancées récentes du gouvernement de Kiev dans les domaines sécuritaire et militaire sont de nature à irriter le dirigeant russe, relève M. Rumer, qui voit le déploiement de troupes à la frontière comme une stratégie pour faire monter la pression dans la région et rendre les partenaires de l’Ukraine « plus hésitants » dans leurs interventions.

Robert Austin, politologue rattaché au Centre d’études est-européennes, russes et eurasiennes de l’Université de Toronto, note que le régime ukrainien a enregistré des progrès pour lutter contre la corruption et favoriser le développement d’un système judiciaire indépendant.

Ces progrès pourraient mener à terme à une « normalisation » du pays et favoriser les ambitions « euro-atlantistes » de ses dirigeants, un scénario qui, dit-il, a tout pour déplaire à Vladimir Poutine.

« Le président de la Russie ne considère pas l’Ukraine comme un pays, mais plutôt comme une partie annexable de l’espace russe », souligne M. Austin, qui décrit une intervention militaire musclée dans le pays comme un « pari à haut risque » pour Moscou.

Rôle des pays occidentaux

Quel que soit le jeu de la Russie, il paraît impératif pour les pays occidentaux de maintenir la pression à son encontre, note M. Rumer.

« Ils doivent continuer à soutenir le développement des capacités de défense de l’Ukraine et signaler, par tous leurs faits et gestes, qu’une invasion russe serait très coûteuse pour Moscou », dit-il.

M. Arel pense que la négociation politique demeure la seule voie pour sortir du conflit dans l’est de l’Ukraine et favoriser un apaisement des tensions entre les deux pays.

« La Russie a le gros bout du bâton parce qu’elle sait très bien que les pays occidentaux ne vont pas partir en guerre pour que l’Ukraine soit intégrée dans l’OTAN », ajoute-t-il.

13 200

Nombre de victimes des combats survenus dans le Donbass depuis 2014

Source : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés