(Paris) « Quand on m’a approchée, je ne m’imaginais pas que ça durerait neuf mois. Personne ici n’imaginait que ça durerait neuf mois. »

Cheveux blonds, l’œil rieur derrière son masque, MAurélie Cerceau ne cache pas qu’elle est impressionnée par l’ampleur du procès des attentats du 13-Novembre, qui se tient au palais de justice de Paris.

Elle en a pourtant vu d’autres. Des meurtres, des viols, des escrocs à col blanc, des pirates somaliens. Le droit criminel, c’est sa spécialité.

Mais après 20 ans de pratique, cette avocate franco-québécoise n’avait jamais, au grand jamais, participé à quelque chose d’aussi gros.

Il faut savoir que le procès regroupe 330 avocats, 9 magistrats, 20 accusés et plus de 2400 parties civiles, pour 1 million de pages de procédure, soit l’équivalent d’environ 53 km linéaires. Sans parler de l’imposant dispositif policier et de la salle d’audience de 550 places, construite spécialement pour la circonstance.

« Colossal »

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Croquis de cour de la salle d’audience, au premier jour du procès des attentats du 13-Novembre, le 8 septembre dernier

« Tout est décuplé. Exacerbé. C’est colossal. », résume-t-elle, pendant une pause entre deux témoins.

MCerceau est avocate de quatre parties civiles. Il y a six ans, ses clients ont échappé de justesse aux attaques terroristes qui ont fait 130 morts sur les terrasses, au Stade de France et dans la salle de concert du Bataclan à Paris, le 13 novembre 2015.

Deux d’entre eux étaient serveurs au bar Le Carillon, où neuf personnes ont été tuées. Les deux autres ont survécu au carnage et à la prise d’otages qui a fait 90 morts au Bataclan.

Aucun avocat, sans doute, ne voudrait passer à côté d’un procès qualifié à juste titre d’« historique ». Mais ce n’est pas la seule chose qui a poussé Aurélie Cerceau à représenter des survivants de cette nuit d’horreur.

« Le premier qui est venu me voir m’a touchée énormément, dit-elle. Il venait d’Afrique du Nord. Il était heureux d’avoir trouvé du travail dans un pays magnifique. Il était à Paris depuis trois mois… Je me suis dit que je ne pouvais pas le laisser tout seul. »

L’autre raison, c’est qu’elle « voulait comprendre ». Comprendre comment des jeunes qui n’ont a priori manqué de rien peuvent basculer du jour au lendemain dans la haine, au point de commettre des meurtres aussi atroces. Comprendre comment le « mal-être d’une société peut produire des gens qui se radicalisent ».

Au-delà du droit

Pour elle, ces réflexions s’imposent depuis le début.

Ce procès, évidemment, ne ressemble à rien de ce qu’elle a déjà connu. Non seulement par son ampleur et sa durée, mais aussi par son intensité. Les traumatismes des survivants sont profonds. Leurs besoins vont au-delà du droit.

En plus de gérer les litiges, on doit gérer les émotions. Un de mes clients demande à me voir tous les mois. Il veut me raconter ce qu’il devient. Ce n’est pas une thérapie. Mais comme on a une connaissance parfaite du dossier, on est peut-être ceux qui sont le mieux à même de les entendre.

MAurélie Cerceau, avocate de quatre parties civiles au procès des attentats du 13-Novembre

Certains se sentent coupables d’avoir survécu. Ils n’attendent rien de particulier, mais veulent qu’on sache que « leur vie a changé à jamais », souligne MCerceau.

D’autres cherchent toujours à comprendre. Ce procès est pour eux un moyen d’obtenir réponse aux questions qui les obsèdent depuis six ans.

Réponse des accusés d’abord (« Ils veulent que ces gens entendent leur douleur. Qu’ils expliquent pourquoi ils ont fait ça »), mais aussi de l’État, qui aurait peut-être pu prévenir ces attaques.

ILLUSTRATION ELISABETH DE POURQUERY, FRANCE TÉLÉVISIONS, VIA REUTERS

Les accusés, au premier jour du procès des attentats du 13-Novembre, le 8 septembre dernier

Tous espèrent des peines « justes et définitives », dans l’espoir d’enfin tourner la page, ajoute l’avocate. Des 20 accusés (seulement 14 présents dans le box), 11 risquent la prison à vie, dont Salah Abdeslam, seul survivant des commandos terroristes. Les 9 autres peines vont de 6 à 20 ans de réclusion.

À noter que l’État français paie les avocats des parties civiles, dont certains comptent plus d’une centaine de clients, autant dire le pactole côté honoraires. Un dixième de leurs aides juridictionnelles sera toutefois versé aux avocats de la défense, qui sont une trentaine.

De Brossard à Paris

Aurélie Cerceau monte depuis six ans ce dossier pour le moins « prenant », qu’elle mène de front avec d’autres affaires. Elle ne s’en plaint pas. Pour cette avocate née au Québec de parents français, cette étape est un « évènement majeur » de son parcours.

Élevée à Brossard, Aurélie Cerceau trace son chemin jusqu’à Paris en passant par le Collège français de Longueuil et le Collège Marie-de-France à Montréal. En 1994, pas encore majeure, elle met le cap sur la France, qu’elle connaît peu et où elle souhaite faire son droit.

Son séjour devait durer trois ans, mais la vie en décide autrement. Après avoir remporté un concours d’éloquence réputé (la Conférence du stage), elle est repêchée par un cabinet d’avocats parisien où elle se découvre une passion pour le droit criminel.

Puis elle rencontre son mari français et s’installe pour de bon dans l’Hexagone.

Pour de bon ? Enfin, peut-être pas… Le Québec lui manque beaucoup. À tel point qu’elle va passer son barreau québécois en 2011, avec l’idée qu’un jour elle pourrait revenir au bercail pour exercer.

« J’adorerais, dit-elle. Mon cœur est resté là-bas. » L’histoire est à suivre.

Un procès « laboratoire »

Le procès des attentats du 13-Novembre ne se démarque pas seulement par sa durée et son ampleur. C’est aussi un « laboratoire, comme souvent dans les procès historiques », souligne Antoine Megie, de l’Université de Rouen. Ce chercheur, qui suit l’évènement pour le projet Jupiter, constate que beaucoup de nouvelles choses ont été créées et pensées « en fonction du nombre de parties civiles », qui s’élève à plus de 2400. Un dispositif de circulation inédit a ainsi été créé pour gérer le flot des témoins, dans une salle d’audience dernier cri construite spécialement pour l’occasion. Autre nouveauté : une webradio en circuit fermé permet aux parties civiles d’écouter les débats sans avoir à se rendre sur place, tandis qu’un service d’aide psychologique leur est offert hors cour. Certains de ces dispositifs pourraient devenir la norme dans de futurs procès « extraordinaires », conclut Antoine Megie.

Consultez le site du projet Jupiter