(Bucarest) Deux chasseurs furtifs russes qui interceptent un bombardier américain en train de se ravitailler en plein vol près de la Crimée : la scène en dit long sur ce qui se passe dans la région.

Au même moment, sur la terre ferme, le secrétaire américain à la Défense visitait trois États alliés, riverains de la mer Noire.  

Lloyd Austin s’est rendu cette semaine en Géorgie, Ukraine et Roumanie dans le but de renforcer la coopération régionale et d’empêcher la Russie d’étendre son influence.

Ce voyage très médiatisé pour le chef du Pentagone, habituellement discret, a mis en évidence l’importance stratégique pour l’administration Biden de cette zone à risques.

CARTE WIKIPÉDIA

La mer Noire est un lieu historique de friction entre l'OTAN et la Russie depuis les années suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le Pentagone veut y intensifier les efforts pour contester la présence de Moscou, un défi de taille.

« Les États-Unis condamnent l’occupation russe de la Géorgie, qui se poursuit, et ses tentatives d’étendre son influence sur la région de la mer Noire via une contrainte militaire et des activités néfastes », a déclaré M. Austin au premier ministre géorgien Irakli Garibashvili lundi.  

PHOTO MINISTÈRE DE LA DÉFENSE RUSSE, VIA MAGAZINE STARS AND STRIPES

Un ravitailleur en vol KC-135 Stratotanker (à gauche) ravitaillant un bombardier B-1B Lancer durant une mission au-dessus de la mer Noire le 19 octobre 2021. Cette photo a été prise par un aviateur russe à bord d’un des deux chasseurs Sukhoi Su-30 dépêchés par le commandement russe pour intercepter les deux appareils américains volant au-dessus des eaux internationales, au large de la Crimée.

Les deux parties ont paraphé un accord pour un nouveau programme d’entraînement militaire d’une durée de six ans, alors que les troupes russes sont stationnées dans deux régions séparatistes géorgiennes.

Le lendemain à Kiev, le haut responsable américain a dénoncé l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 — qui a considérablement élargi l’accès maritime de Moscou — et ses « activités déstabilisatrices en mer Noire ».

Tensions croissantes

Cette visite intervient après une hausse des confrontations en mer.  

En juin, des bateaux et avions russes ont menacé un navire de guerre britannique au large de la Crimée.

Quelques jours plus tard, une frégate de la marine néerlandaise, dans la région pour des exercices, a subi des actes similaires pendant cinq heures.

Jusqu’à présent, les efforts déployés pour contenir la Russie ont eu peu d’impact.  

Le déplacement de M. Austin visait précisément à les intensifier. Outre l’augmentation de la formation militaire pour la Géorgie, les États-Unis vont fournir des armes et des navires de patrouille à l’Ukraine.

Ils veulent aussi renforcer le rôle de la Roumanie en matière de coordination et de renseignement. Près de 1000 soldats américains sont stationnés dans ce pays membre de l’OTAN.

« La sécurité et la stabilité de la mer Noire sont dans l’intérêt national des États-Unis » et sont essentielles « pour la sécurité du flanc oriental » de l’Alliance atlantique, a insisté M. Austin mercredi en Roumanie, jugeant la région « vulnérable » face aux assauts russes.  

Saper l’unité

Moscou n’a fait aucun commentaire sur ces déclarations, si ce n’est le défi aérien lancé mardi aux bombardiers américains par les jets russes.

La Russie apparaît imperturbable, selon les experts américains.

En 2018, une étude du groupe de réflexion Rand avait d’ailleurs conclu à son hégémonie, surtout depuis qu’elle a pris le contrôle de la Crimée.

« Elle peut stratégiquement appliquer des pressions sur mesure aux cinq autres États riverains, ce qui serait susceptible de saper davantage l’unité autour d’une action multilatérale », résumait le document.

Outre les pays visités cette semaine, Washington veut aussi renforcer les capacités militaires de la Bulgarie et de la Turquie et les amener à travailler ensemble.

Une tâche peu aisée, reconnaît une source au sein du Pentagone. La Turquie, qui domine le sud de la mer Noire, est notamment sceptique quant à l’idée de faire patrouiller davantage de navires américains et de l’OTAN.  

« Nous essayons de nous concentrer sur ce que nous avons en commun… et de faire abstraction des autres questions », explique ce responsable, citant un récent pacte entre la Roumanie et la Bulgarie visant à ouvrir leur espace aérien aux survols de l’autre pays.