(Paris) « Un pleur, un tir. Un téléphone qui sonne, un tir ». Au procès des attentats djihadistes du 13 novembre 2015 à Paris, des rescapés du massacre au Bataclan ont commencé à raconter mercredi comment ils sont restés à « la merci » de « l’inhumanité aveugle » des assaillants.  

Le corps entier qui tremble, Édith se présente à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris avec « un problème de légitimité » : ce vendredi soir-là, elle est « sortie indemne physiquement » du Bataclan. « Physiquement », insiste cette femme de 43 ans.  

Dès le début de l’attaque, qui fera au total 90 morts, elle perd de vue dans une « ruée » de gens l’amie avec laquelle elle était venue assister au concert du groupe Eagles of Death Metal.  

Elle longe le bar, rampe jusqu’à un escalier, gravit les marches, arrive sur le balcon. Paniquée. Elle bouscule un homme qui la cache sous un strapontin. En « position fœtale », elle assiste « à la tuerie par le prisme de l’ouïe exclusivement », précise-t-elle.

D’abord des tirs en rafale, suivis de « hurlements », de « cris de douleur ». Puis par à-coups. « Un pleur, un tir. Un cri, un tir. Un téléphone qui sonne, un tir. Une supplication, un tir », relate Édith, la voix cassée par l’émotion.  

« J’ai fait le mort »

Le son, c’est aussi celui des « revendications » des assaillants, ils parlent de « venger leurs frères en Syrie », de la politique étrangère du président François Hollande. « Sauf que je ne les trouvais pas très motivés. Le ton était tellement monocorde, il n’y avait aucune conviction, rien. Je les ai trouvés nuls », insiste Édith.

Puis vient le « silence assourdissant ». « Plus de cris, plus de pleurs, plus de mots. Juste des téléphones qui sonnent ».  

« Là, j’étais en train de me dire que je n’avais plus de lait pour le petit déjeuner de ma fille », rit nerveusement Édith. « Et cette question : “Est-ce que ça fait mal de mourir ? Parce que cette attente, c’est une torture ».  

Comme de nombreux rescapés qui témoignent les premiers ce mercredi, Jean-Marc a « fait le mort ».  

« Au sol, prostré, sans possibilité de fuir » après les premiers tirs, il reste « face contre terre », avec « le sentiment d’être complètement à découvert, à la merci des tireurs ».

Il a « le son, pas l’image ». Sauf « les pieds » d’un djihadiste, tout près de son visage. « J’ai senti les douilles tomber sur ma tête », déclare Jean-Marc, 40 ans, la voix tremblante tout au long de sa déposition.  

« On était complètement impuissants, à ne pas savoir si on allait se prendre la prochaine balle ou pas. C’est tellement inhumain », souligne-t-il, de la colère dans la voix.

« Ne regardez pas »

Ce n’est qu’en relevant la tête à la fin de l’attaque que Jean-Marc mesurera « l’ampleur du massacre ». « Un policier a dû me hurler dessus pour me faire sortir ».

Au balcon, une porte s’ouvre enfin. « Il y a quelqu’un ? », demandent des policiers. Après une fouille, l’un d’eux lance à Édith et « une dizaine » d’autres personnes qui s’étaient cachées dans les toilettes ou des réduits : « “On va descendre, ne regardez pas” ».  

Mais « c’est impossible ». En bas des escaliers, la « mare de sang est colossale, épaisse, noire, elle est simplement l’indicateur du volume de tous ces cadavres dans la fosse », dit Édith.  

Pendant qu’ils progressent, elle entend un homme dire : « “Les valides, levez-vous”. Mais personne ne s’est levé. Il ne restait que les morts et les gravement blessés », poursuit-elle. Ces « images sont gravées dans mes rétines pour toujours ».  

Elles sont aussi imprimées dans la mémoire de Cédric, ancien chauffeur-livreur de 41 ans.  

Pendant le méthodique massacre, alors que les djihadistes « nous tiraient comme des lapins », Cédric, la jambe droite piétinée lors d’une bousculade, essaie « de fusionner avec le sol », la peur que son téléphone sonne lui aussi.  

« J’ai entendu des gens mourir pendant deux heures », souffle Cédric. Un plan de la salle du Bataclan, projeté à l’écran, permet de préciser sa position. « J’étais juste à côté de “C15”, qui s’étouffait dans son sang, et là c’est “G17” qui me regardait droit dans les yeux. Je l’ai vu mourir ».  

Cédric interpelle le box des accusés : « Messieurs qui avez fait le djihad, est-ce que vous avez vu des gens mourir en les regardant dans les yeux ? ». « Vous nous avez attaqués, mais nous sommes innocents, non armés. Vous êtes en colère contre un État, pourquoi nous ? »

Le président de la cour Jean-Louis Périès intervient alors, pour rappeler que les accusés « bénéficient de la présomption d’innocence ».