(Barcelone) Après une semaine de haute tension et de violences, la Catalogne pansait ses plaies, hier, alors que la mobilisation contre l’emprisonnement de neuf leaders catalans semblait vouloir se poursuivre dans le calme.

Barcelone porte encore les cicatrices des affrontements brutaux entre manifestants et forces de l’ordre qui ont émaillé la semaine dernière.

« Il y a 15, 16, 17 impacts », détaille Alberto, un ouvrier chargé de couvrir la vitrine éclatée du grand magasin El Corte Inglés, en plein centre-ville. « C’est un commerce avec une image très espagnole, c’est pour ça qu’il a été visé. » Et les graffitis politiques sont encore plus présents qu’à l’habitude dans une ville déjà connue pour ses allures de rebelle.

PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, LA PRESSE

Alberto et son collègue couvrent la vitrine de l’El Corte Inglés, en plein centre-ville de Barcelone.

En matinée, les autorités ont déploré un incident autrement plus grave qu’une vitrine cassée : un arbre aurait volontairement été abattu sur une voie ferrée de la périphérie, entraînant une collision avec un train de banlieue. Personne n’a été blessé.

Par contre, près de 600 personnes — dont 225 policiers — ont dû recevoir des soins médicaux à la suite des manifestations de la dernière semaine, selon les chiffres du Système médical d’urgence rapportés par la presse locale.

Parmi les militants réunis Plaça d’Espanya, hier soir, les dernières images d’affrontement à circuler sur les réseaux sociaux étaient le sujet de conversation par excellence : des policiers qui matraquent à qui mieux mieux, d’autres qui malmènent des personnes âgées ou des protestataires qui tentent de faire barrage aux anarchistes violents.

« Nous connaissons l’un des blessés. J’ai vu une vidéo circuler où il est frappé sur le nez par un policier. Il a l’âge d’être un grand-père », a déploré Carine, une manifestante qui a refusé de fournir son nom de famille.

C’est la condamnation, la semaine dernière, de neuf responsables politiques indépendantistes qui a mis le feu aux poudres.

Le plus puissant tribunal espagnol les a condamnés à des peines allant de 9 à 13 ans de prison chacun pour sédition et pour avoir utilisé des fonds publics à mauvais escient – pour promouvoir la souveraineté de la Catalogne dans ce cas. L’ancien vice-président de la région était parmi eux, tout comme d’autres membres du gouvernement. Son patron, Carles Puigdemont, a préféré fuir en Belgique en 2017 plutôt que de risquer de subir le même sort.

Des bulles contre Madrid

Hier soir, on se serait cru à Montréal dans une tempête de février lorsque l’air de la Plaça d’Espanya s’est rempli de bulles de savon : les manifestants étaient invités à apporter du savon à vaisselle avec eux, et l’immense fontaine en a rapidement reçu une généreuse dose. Thème : nettoyer l’injustice.

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Sur la Plaça d’Espanya, environ 2000 manifestants étaient réunis hier, selon la police municipale.

Angela avait apporté une vadrouille et faisait mine de laver le pavé. « Nous vivons une période très difficile, et certains se font accuser de terrorisme », a-t-elle dit, reprenant son sérieux. « Ça fait deux ans que le référendum a été réprimé et par la suite, la colère était assez contenue. Mais lundi dernier, quand on a appris la sentence, ç’a été une surprise. L’indignation s’est exprimée de multiples façons. »

Oscar Lopes, l’un des rares manifestants à accepter d’être identifiés, ressemble davantage à un homme d’affaires qu’à un militant avec son veston et sa chemise. « C’est normal que les gens se défendent contre la police, a-t-il dit, la laisse de son chien dans la main. Je n’ai plus l’âge pour faire ça, mais je le comprends. »

Sur la Plaça d’Espanya, environ 2000 manifestants étaient réunis, selon la police municipale. Bien loin des centaines de milliers de personnes qui ont répondu à d’autres appels à l’action, depuis le référendum déclaré illégal de 2017. Bien loin aussi, espèrent les indépendantistes, de la foule qui devrait se rassembler dimanche prochain pour une grande démonstration de force.

« J’ai manifesté chaque jour »

En périphérie de la place, les gyrophares bleus de la police, prête à intervenir. Les forces de l’ordre entourent aussi différents bâtiments stratégiques : la préfecture de la police nationale, contrôlée par Madrid, était protégée par des hommes portant des armes automatiques, hier, via Laietana.

Tout près de là, dans le très touristique Barri Gòtic, Miguel Villalobos tient une petite boutique remplie d’écussons, de porte-clés et d’autocollants aux couleurs du drapeau catalan. Plusieurs portent des slogans indépendantistes.

« Je suis un commerçant, alors je vends de tout. Mais sur 100 produits, j’en vends 99 avec un drapeau catalan et un avec un drapeau espagnol. Les touristes n’y comprennent pas grand-chose. Ce sont surtout des gens d’ici qui les achètent, explique-t-il. En Catalogne, nous sommes 7 millions de personnes et nous produisons 23 % du produit intérieur brut du pays. […] Je crois que si on avait un référendum autorisé, 70 à 80 % des gens voteraient en faveur de l’indépendance. »

Retour à Plaça d’Espanya. Pol M., âgé de 22 ans, en est à sa huitième journée de manifestation en huit jours depuis la condamnation des leaders indépendantistes.

« J’ai manifesté chaque jour », a-t-il dit avec fierté. Selon lui, les poursuites criminelles de l’État espagnol contre les leaders indépendantistes et leur condamnation subséquente ont fait sortir dans la rue beaucoup de personnes qui ne sont pas farouchement indépendantistes, mais qui tiennent aux libertés civiles. « Le mouvement est plus grand, beaucoup plus grand que le mouvement pour l’indépendance à présent », a continué le jeune homme.