Une fonctionnaire en niqab ou une policière en hijab ? Pas de problème au Royaume-Uni. Le débat sur l'interdiction des signes religieux dans certains secteurs de la fonction publique québécoise paraît bien lointain, vu d'un pays qui compte des fonctionnaires portant le voile intégral.

Malgré des débats périodiques sur la question, le Royaume-Uni demeure l'un des pays les plus tolérants en Europe sur le port de signes religieux. Dans certaines grandes villes du pays, il n'est pas rare de croiser des femmes couvertes de la tête aux pieds. L'Université de Birmingham, une ville où plus de 20 % de la population est musulmane, publie même un guide à l'intention de ses étudiantes qui adoptent ce vêtement.

« Je n'ai aucun doute qu'il y a une grande quantité de fonctionnaires qui portent le hijab et certaines qui portent le niqab. Il n'y a aucune raison pour laquelle ils ne devraient pas le faire et il n'y a certainement pas d'interdiction totale en ce sens », a expliqué Declan O'Dempsey, avocat spécialisé en discrimination en emploi. Aucun décompte officiel n'existe toutefois.

En 2006, le barrister avait représenté Aishah Azmi, une professeure adjointe qui souhaitait porter le niqab en classe. La justice avait accepté des témoignages de l'employeur expliquant que les enfants n'entraient pas autant en contact avec elle lorsque son visage était couvert. Sa mise à pied avait été approuvée.

C'est la règle en Angleterre, a expliqué Me O'Dempsey : toute discrimination directe (« les niqabs sont interdits ») est illégale et toute discrimination indirecte (« tout vêtement couvrant le visage est interdit ») n'est permise que si elle vise un objectif légitime.

« Pour la plupart des emplois, le public n'a pas à voir le visage de l'employée : dans un centre d'appels, dans une usine », a-t-il ajouté. « Dans la plupart de ces milieux de travail, le débat s'est calmé parce que les employeurs connaissent les limites de leurs pouvoirs. [...] Pour le hijab, par exemple, il n'y a virtuellement aucune situation où il pourrait être interdit. »

« Par choix »

Shalina Litt avait fait la manchette en 2013 : l'enseignante de Birmingham - la deuxième ville du pays - portait le niqab en public, mais le retirait dans sa classe.

« Ceux qui disent qu'on doit réglementer la façon dont les femmes s'habillent ne devraient-ils pas aussi logiquement vouloir réglementer les parties de leur corps qui ne sont pas couvertes ? », a-t-elle demandé en entrevue avec La Presse.

« Nous ne sommes pas des femmes qui ont été forcées par leur mari à se couvrir. La majorité de celles qui le font le font par choix. »

- Shalina Litt

La Britannique de confession musulmane raconte qu'elle était souvent la cible d'insultes dans la rue. Depuis, Mme Litt a choisi de ne plus porter le niqab. Elle voyait une contradiction entre sa volonté de modestie qui justifiait cette pratique et ses interventions dans les médias.

Mme Litt continue toutefois de soutenir le droit des employés du secteur public anglais à se vêtir de la façon dont ils le souhaitent. « Je pense que nous sommes loin de voir une telle interdiction proposée ici », a-t-elle dit par rapport à la proposition du gouvernement Legault.

Des « boîtes à lettres »

Le débat revient tout de même périodiquement sur le tapis de ce côté-ci de l'Atlantique.

L'été dernier, le fameux député (et ex-maire de Londres) Boris Johnson a comparé les musulmanes qui portent le niqab à des « boîtes à lettres » et à des « cambrioleuses de banque ». Signe que même les conservateurs les plus pittoresques adhèrent à une vision multiculturaliste de la société britannique, M. Johnson a formulé ces commentaires dans une chronique où il critiquait la Suède pour avoir purement et simplement interdit ce vêtement dans l'espace public.

Quelques années auparavant, en 2016, le premier ministre David Cameron avait ouvert la porte à l'imposition de limites plus strictes quant au port du voile intégral dans certains milieux de travail, notamment dans les hôpitaux et dans les écoles. Mais aucune restriction n'a été imposée. La même année, un sondage sérieux suggérait qu'une majorité claire (57 %) de Britanniques favorisait une interdiction complète du niqab dans le pays - à contre-courant des politiciens.

Depuis, le sujet fait peu de vagues, le débat public étant largement monopolisé par la question du Brexit. Mais ces discussions ont eu un impact sur les membres de minorités religieuses qui sont facilement reconnaissables, selon Declan O'Dempsey.

« Il y a certainement eu une augmentation du nationalisme au Royaume-Uni depuis le référendum, a-t-il dit. Il y a eu davantage de rhétorique intolérante de la part de certains politiciens, mais je crois qu'à mesure que les gens s'adaptent à notre sortie de l'Union européenne, on pourrait bien voir le niveau d'intolérance diminuer parce que notre économie deviendra plus dépendante d'autres pays [qui ont d'autres valeurs]. »

Selon l'Office for National Statistics (ONS), le Royaume-Uni compte 3,4 millions de musulmans, qui constituent ensemble environ 5,2 % de la population britannique.

Et en France ?

Alors que le Royaume-Uni affiche une grande ouverture aux signes religieux, le curieux n'a qu'à traverser la Manche pour trouver une attitude complètement différente. En France, au nom de la laïcité de l'État, les employés de la fonction publique n'ont pas le droit d'afficher de symboles de leur foi. « Cette interdiction vaut quelles que soient les fonctions exercées au contact ou non du public », indique un « mode d'emploi » récemment publié à l'intention des fonctionnaires. Depuis 2004, les élèves et étudiants des établissements publics d'enseignement ne peuvent plus afficher de symboles religieux en classe. Depuis 2010, le niqab et la burqa sont complètement interdits dans l'espace public.

- Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

PHOTO ARCHIVES REUTERS

En 2006, la professeure adjointe Aishah Azmi a voulu porter le niqab en classe. Sa mise à pied avait été approuvée par la justice britannique.