L'Union européenne a réduit le champ d'action de sa mission Sophia de lutte contre le trafic de migrants en Méditerranée, sous la pression du gouvernement italien, en la limitant officiellement mercredi à des patrouilles aériennes et à la formation des garde-côtes libyens.

La diplomatie de l'UE a annoncé un accord entre les 28 sur la prolongation pour six mois de cette opération militaire créée en 2015 et qui a permis de sauver des dizaines de milliers de vies de migrants.

Mais l'opération est prolongée sans sa composante navale qui était dans la ligne de mire de l'Italie, opposée à l'utilisation de ses ports comme lieux de débarquement des migrants secourus.  

« Jusqu'à présent aucune solution n'a été trouvée sur la question du débarquement », a déclaré devant la presse Maja Kocijancic, porte-parole de la cheffe de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini, soulignant que le déploiement des navires était suspendu « temporairement ».

« L'opération Sophia est une opération navale. C'est clair que sans les moyens maritimes, elle ne sera plus à même d'appliquer efficacement son mandat », a reconnu la porte-parole.

Depuis plusieurs mois l'exécutif européen s'efforçait d'éviter une telle issue dans les discussions houleuses à propos de Sophia entre Rome et les autres capitales de l'UE.

« J'espère toujours qu'un accord sera trouvé, mais je ne vois pas de mouvements et en l'absence de développements, l'opération Sophia devra être abandonnée, avec toutes les conséquences que cela implique, malheureusement », avait averti Mme Mogherini le 18 mars après une réunion des chefs de la diplomatie de l'UE.

De fait, un accord est intervenu mercredi mais la prolongation de Sophia jusqu'en septembre 2019 ne porte que sur les patrouilles aériennes et la formation des gardes-côtes libyens à la lutte anti-passeurs, un aspect controversé de la mission. Des ONG ont dénoncé des cas de violences à l'égard des migrants ou de leurs propres employés lors d'opérations de sauvetage.

Dès sa création au printemps 2015, après une série de naufrages, Sophia avait été placée sous commandement italien.

Son quartier général est à Rome et la marine italienne est très impliquée dans les opérations menées au large de la Libye, pays devenu une plaque tournante du trafic de migrants venus d'Afrique subsaharienne.

- « Rien n'est logique » -

Mais la coalition anti-système au pouvoir à Rome depuis 2018 a exigé de changer les règles imposant le débarquement dans les ports italiens des naufragés recueillis par les navires de Sophia.

Face à une situation qu'elle jugeait bloquée depuis des mois, l'Allemagne avait décidé en janvier de ne pas remplacer sa frégate opérant dans la zone, l'Augsburg.

« Soit les règles changent, soit il est mis fin à la mission », avait menacé le ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini.

Selon la presse italienne, il n'y a plus eu d'opération de secours depuis l'été 2018.

Dans ce dossier « rien n'est logique depuis déjà longtemps », a commenté mercredi un  diplomate européen joint par l'AFP.

Retirer provisoirement les moyens maritimes, « c'est une manière de limiter les dégâts dans l'espoir qu'une fois la saison électorale passée, on pourra revenir à la raison », a-t-il poursuivi.

« C'est vraiment la panne de l'Europe. On tremble devant l'incapacité de l'UE à dessiner une voie commune », a déploré pour sa part Pierre Henry, directeur général de l'ONG France terre d'asile.

Depuis le retrait de l'Augsburg, deux navires militaires sont déployés en Méditerranée centrale, le « Rayo » fourni par l'Espagne et le « Luigi Rozzo » (Italie). Ces frégates sont appuyées par des hélicoptères et avions mis à disposition par l'Espagne, l'Italie, la Pologne et le Luxembourg.

En janvier, l'amiral Enrico Credendino, chef de la mission, avait revendiqué le sauvetage de 45 000 personnes par Sophia, soit 9 % du total des migrants secourus en Méditerranée. Plus de 500 embarcations de passeurs ont été mises hors d'usage et 150 trafiquants arrêtés, avait-il ajouté.

En Méditerranée centrale 160 migrants sont morts ou portés disparus depuis le début de l'année, selon les chiffres datés du 19 mars de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Entre 2017 et 2018, le nombre de migrants morts ou disparus sur l'ensemble des axes migratoires de la mer Méditerranée était passé de 3139 à 2299.