La communauté juive d'Allemagne craint pour sa sécurité à la suite d'une série d'incidents antisémites. L'un de ses principaux dirigeants a illustré la gravité du malaise cette semaine en déconseillant le port de la kippa dans les rues de Berlin, suscitant des manifestations de solidarité dans plusieurs villes. Le point en cinq questions.

POURQUOI UNE TELLE MISE EN GARDE ?

La communauté juive allemande, qui sonne l'alarme relativement à la multiplication d'actes antisémites, a été secouée la semaine dernière par la diffusion d'une vidéo dans laquelle un jeune homme criant « juif » en arabe frappe à plusieurs reprises avec sa ceinture un Israélien de 21 ans portant la kippa. La victime, qui n'est pas juive, a indiqué au diffuseur allemand Deutsche Welle qu'elle avait décidé de porter ce symbole religieux juif pour voir s'il était risqué de le faire dans les rues de Berlin, comme l'avait suggéré un ami. L'agresseur, décrit par les autorités comme un ressortissant syrien de 19 ans, s'est rendu par lui-même à la police quelques jours plus tard.

QUELLES ONT ÉTÉ LES SUITES DE L'ATTAQUE ?

Le gouvernement a réagi avec émoi et exprimé sa solidarité avec la communauté juive. La chancelière allemande Angela Merkel a souligné qu'il s'agissait d'un incident « horrible » et a promis que le gouvernement agirait avec « détermination » pour endiguer la montée de l'antisémitisme dans le pays. Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, a indiqué, en rappelant l'Holocauste, que l'État allemand avait la « responsabilité » de protéger les juifs vivant sur son territoire.

Les assurances n'ont pas suffi à rassurer le président du Conseil central des juifs d'Allemagne, Josef Schuster, qui a « déconseillé » en début de semaine le port de la kippa dans certaines circonstances à Berlin. Sa mise en garde a été suivie par la tenue dans la capitale d'une manifestation de 2000 personnes, de convictions religieuses variées, qui ont porté la kippa en signe de solidarité. Des manifestations de moindre importance sont survenues dans trois autres villes.

L'ANTISÉMITISME EST-IL EN HAUSSE ?

Un centre de recherche a révélé la semaine dernière que 947 incidents antisémites avaient été recensés dans la capitale allemande en 2017, en hausse de 60 % par rapport à l'année précédente. Le phénomène divise la classe politique allemande, qui peine à s'entendre sur ses causes. L'Alternative pour l'Allemagne (AfD), le parti d'extrême droite qui forme l'opposition officielle, blâme les centaines de milliers de réfugiés arrivés au pays depuis 2015 en évoquant « l'antisémitisme musulman ». Angela Merkel a prévenu qu'il y avait de l'antisémitisme venant « du monde arabe », mais qu'il y en avait aussi parmi les « citoyens allemands ». De fait, les données du ministère de l'Intérieur suggèrent que près de 90 % des actes antisémites recensés à l'échelle du pays sont imputables à l'extrême droite.

L'AFD EST-ELLE EN APPUI À LA COMMUNAUTÉ JUIVE ?

Les dirigeants de l'AfD maintiennent qu'ils soutiennent la lutte contre l'antisémitisme, mais cette affirmation apparaît peu crédible aux yeux des organisations juives d'Allemagne. Marcel Dirsus, un politologue rattaché à l'Université de Kiel, note en entrevue que la formation populiste tolère des déclarations antisémites de la part de certains de ses membres et compte dans ses rangs des élus révisionnistes issus du Parti national-démocrate d'Allemagne, une petite formation ultranationaliste. L'année dernière, un dirigeant de l'AfD a décrié l'existence d'un mémorial de l'Holocauste à Berlin et pressé le pays de cesser de s'excuser pour les crimes nazis. « L'AfD rend les gens dans la communauté juive très nerveux », relève M. Dirsus.

DES MESURES DIFFICILES À PRENDRE ?

M. Dirsus note que l'Allemagne aura des décisions « difficiles » à prendre pour tenter d'endiguer la montée de l'antisémitisme. Le gouvernement a récemment créé un poste de commissaire qui sera chargé d'élaborer la stratégie pour y parvenir. Le premier occupant du poste, Felix Klein, qui commence son mandat en mai, a indiqué à Deutsche Welle que son premier objectif serait d'établir un registre centralisé des incidents pour pouvoir mieux comprendre la situation. « Il y a toujours eu de l'antisémitisme en Allemagne, mais il est plus flagrant maintenant, plus agressif », a-t-il souligné. Tout en reconnaissant que l'existence de sentiments antisémites chez certains migrants était une source de préoccupation, il s'est dit surtout inquiet des « préjugés » qui existent « au coeur de la société » allemande.