Un consortium international de journalistes a pris le relais, l'automne dernier, d'une collègue assassinée à Malte pour faire toute la lumière sur les turpitudes qu'elle souhaitait dénoncer, et le groupement promet de répéter l'exercice si un autre membre de la communauté journalistique est tué pour avoir exercé ses fonctions.

L'un des objectifs déclarés des professionnels réunis sous la bannière de Forbidden Stories (Histoires interdites) est de faire en sorte que les gens crapuleux qui songeraient à recourir à des tueurs pour empêcher d'embarrassantes révélations renoncent à leur projet.

Bastian Obermayer, un journaliste d'enquête allemand respecté qui participe à l'initiative, a indiqué vendredi par courriel que l'organisation «souhaite faire réfléchir à deux fois» les commanditaires potentiels de tels meurtres.

«Ils vont réaliser que de tuer un collègue ne donnera pas nécessairement le résultat qu'ils veulent, soit moins attirer l'attention. Ils risquent en fait d'en recevoir bien plus lorsque plusieurs médias internationaux poursuivront l'enquête et diffuseront largement leurs conclusions. C'est la menace que nous faisons.»

«Désormais, faire taire le messager n'empêchera pas le message d'exister », prévenait dans la même veine en octobre dernier le journaliste français à l'origine du partenariat Forbidden Stories, Laurent Richard.

En entrevue avec L'Obs, il a déclaré que le journalisme collaboratif de ce type offrait une excellente protection. «À quoi bon tuer un journaliste si 10, 20 ou 30 autres sont prêts à prendre le relais pour continuer son travail? », a-t-il noté.

Les membres du consortium, qui proviennent notamment de médias influents comme The Guardian, Le Monde et le New York Times, ont commencé cette semaine à livrer les conclusions du travail mené à la suite de l'assassinat de Daphne Caruana Galizia.

La journaliste maltaise, qui enquêtait sur des allégations de corruption et de blanchiment d'argent, a été tuée le 16 octobre par l'explosion d'une puissante bombe placée sous le siège de sa voiture.

Auteure d'un blogue qui cumulait les révélations embarrassantes, elle comptait beaucoup d'ennemis sur l'île et était la cible de nombreuses poursuites en diffamation.

L'enquête policière, appuyée notamment par le FBI, a mené rapidement à l'arrestation de trois hommes au passé chargé qui ont orchestré l'attaque. Aucun n'a soufflé mot cependant de l'identité des commanditaires du meurtre.

Le premier ministre maltais, Joseph Muscat, de passage cette semaine à Londres, est critiqué par les autorités européennes, qui le pressent de tout mettre en oeuvre pour éclaircir les circonstances du drame.

Les conclusions de l'enquête

Les journalistes ayant pris le relais de leur collègue assassinée ont pu confirmer qu'une banque maltaise à laquelle s'intéressait Daphne Caruana Galizia servait de «couverture et de tête de pont» à deux puissantes familles d'Azerbaïdjan, dont celle du dictateur Ilham Aliyev.

Selon le quotidien Le Monde, l'étude des activités de la banque a permis de mettre en lumière l'existence d'un réseau «très étendu» de sociétés-écrans utilisées «pour transférer de l'argent dans l'Union européenne et effectuer des investissements à visage masqué».

L'enquête a aussi permis de confirmer que de riches ressortissants étrangers ont acquis la citoyenneté maltaise contre argent sonnant sans respecter les exigences de résidence mises en place par l'Union européenne pour éviter un trafic de «passeports de complaisance».

Bastian Obermayer a indiqué que le consortium de journalistes avait pu avoir accès à plusieurs dossiers colligés par Daphne Caruana Galizia, ce qui a facilité les recherches.

«Mais c'était évidemment quand même très difficile à faire. Et pour être honnête, il y a encore beaucoup de questions en suspens, beaucoup de travail à faire. On ne fait que commencer», a-t-il noté.