Le calme. Il n'y a pas d'autres mots pour décrire l'ambiance à Barcelone 24 heures après la déclaration unilatérale d'indépendance, prononcée la veille par le président catalan Carles Puigdemont.

Pour un pays qui vient officiellement de se mettre au monde, on est loin de sentir l'effervescence attendue.

En ce samedi après-midi, le temps semble même étrangement suspendu, comme si c'était business as usual. On mange en terrasse, on se balade en famille, on joue au parc avec ses enfants. Scènes de la vie de fin de semaine, auxquelles se greffent les touristes, toujours aussi nombreux, qui semblent totalement indifférents à la crise politique qui secoue la région.

« C'est vrai que l'atmosphère est bizarre, convient Isabel Guerrero, qui se promène avec son porte-bébé sur l'avenue Diagonal, artère importante du centre-ville. C'est silencieux, non ? »

« La vie continue, c'est tout », ajoute Xavier Sanfeliu, vendeur de journaux rencontré un coin de rue plus loin devant La Pedrera, célèbre bâtiment de Gaudí. La seule différence, c'est que j'ai vendu plus de journaux que d'habitude ! »

Si tous reconnaissent l'inhabituelle tranquillité qui règne aujourd'hui sur la capitale de la Catalogne, personne ne l'explique de la même façon.

Chez les pro-indépendantistes, c'est clair : il s'agit avant tout de reprendre son souffle avant le prochain round. Car si la proclamation d'indépendance les réjouit, personne n'est dupe. Tous savent que le plus dur reste à venir, à commencer par la mise en route de cette nouvelle république, qui n'est pour l'instant viable que sur papier.

L'opération s'annonce d'autant difficile que le premier ministre espagnol Mariano Rajoy fera tout en son pouvoir pour enrayer le projet séparatiste. D'ailleurs, une demi-heure après la déclaration d'indépendance, il a activé le fameux article 155 de la Constitution afin de reprendre le contrôle de la Catalogne.

« Quelque chose va se passer, mais on ne sait pas encore quoi. »

- Ander Ordono, Basque d'origine, abordé sur le trottoir, une bière à la main

« Tout ce qu'on sait, c'est que c'est la fin de quelque chose et le début de quelque chose d'autre, ajoute sa copine Itziar Perez. Et ça, pour nous, c'est un soulagement. »

« FATIGUE »

Soulagement... ou inquiétude ? Chez d'autres Barcelonais interrogés hier, le calme ressenti se traduirait plutôt par la « fatigue » du mouvement nationaliste, qui sait, au fond, que sa victoire n'est que symbolique. Alors que l'indépendance de la Catalogne n'est toujours pas reconnue à l'international, que les entreprises quittent la région par centaines (près de 1800, aux dernières nouvelles) et que l'Espagne s'apprête à mettre la région sous tutelle, il sera bien difficile en effet de réaliser ce projet de république catalane.

« Moi, je pense que les gens n'y croient pas vraiment. Ils savent que le processus sera extrêmement difficile, résume Luis Lopez, croisé dans le quartier Gràcia avec un couple d'amis. Il y a de la désillusion. Et donc moins d'excitation. »

Malgré cette impression de « pizza dessoufflée », pour reprendre l'image de Marcello Belotti, Barcelonais d'origine italienne rencontré quelques heures plus tôt dans le quartier populaire de Sagrera, certains appréhendent une montée des tensions. Une manifestation pro-Espagne doit avoir lieu aujourd'hui, et rien ne dit que certains indépendantistes ne prendront pas de leur côté une voie plus radicale pour répondre à la mise sous tutelle de la Catalogne par l'État central.

Les élections catalanes anticipées, annoncées par Mariano Rajoy pour le 21 décembre, pourraient permettre de remettre les choses à plat. Mais une fois ce problème réglé, se posera celui de rétablir les ponts entre Madrid et Barcelone, qui ont définitivement rompu le dialogue. Un problème politique qui restera entier, peu importent les résultats du scrutin.

VERS UNE FÉDÉRATION ?

Revoir la Constitution espagnole ? C'est le souhait de certains « fédéralistes de gauche », qui se sont réunis hier dans une usine convertie en centre culturel alternatif, devant une tête géante de Lénine. Pour eux, le fédéralisme serait la meilleure réponse aux problèmes d'unité qui fragmentent présentement l'Espagne.

« Nous sommes à la recherche d'un consensus, et le fédéralisme peut nous aider à y parvenir. »

- Ferran Pedret, député socialiste à la Généralité, le Parlement catalan

En attendant une éventuelle voie de sortie, certains se montrent fatalistes. Comme Antoni Dachs, rencontré quelques mètres plus loin, cigarette au bec et sourire en coin. Dans un français « cassé », ce sexagénaire à l'élégance défraîchie ne cache pas son pessimisme devant la suite des événements, résumant peut-être à lui seul l'état d'esprit ambiant.

« On est dans l'expectative totale, conclut-il. Mais je sens que ça va mal se terminer.

« Pour les Catalans, ça se termine toujours mal... »